La France, on le sait depuis près de quarante années, est liée à beaucoup de ses anciennes colonies africaines par des accords de défense dits mutuels. La précision est importante même si on se demande si la France a besoin d'être défendue. Ce qui lui assure toutefois, une importante présence sur le continent africain jamais remise en cause par aucun membre de la classe politique française. Il faut maintenant revenir à la notion-même de défense, et là la première explication renvoie automatiquement à l'agression extérieure, ce qui devient de plus en plus rarement le cas. Mais à l'intérieur la question est tout autre. Et ce qui se passe actuellement au Tchad secoué par de nombreuses rébellions, soulève la question de la présence française. Au printemps 2006, elle n'a pas hésité à intervenir aux côtés des forces gouvernementales, et sauver le régime en place. Présentée comme une simple mission de coopération, l'action militaire de la France au Tchad est de plus en plus critiquée par l'opposition et les rebelles tchadiens, qui la dénoncent comme un soutien politique patent au régime du président Idriss Deby Itno. Officiellement, la présence des soldats français au Tchad est régie par l'accord de coopération militaire technique signé en 1976 par Paris avec son ancienne colonie, qui couvre la « formation en France et au Tchad » du personnel de l'armée tchadienne et son soutien en matière de logistique et de santé. Ce document a été complété depuis par un protocole relatif au stationnement, depuis 1986, des quelque 1100 soldats de l'opération Epervier. Sur le terrain, le commandant des éléments français au Tchad (EFT) assure n'avoir « aucun contact direct » avec le gouvernement tchadien. « Tout est coordonné et autorisé par l'ambassade de France », affirme le colonel Vincent Tesnière, « nous ne sommes qu'un des acteurs de cette coopération ». Son collègue, attaché de Défense à l'ambassade de N'Djamena, le colonel Jean-Marc Marill, confirme qu'il ne s'agit pour la France que « de participer à la restructuration de l'armée tchadienne et de la soutenir dans sa réorganisation, en particulier dans le domaine de la formation, du service de santé et du soutien logistique ». Quant aux missions de « renseignement » menées notamment par des Mirage F1 stationnés à N'Djamena, l'officier affirme qu'elles ont été autorisées par le ministère de la Défense. Lors de l'attaque des rebelles sur la capitale en avril 2006, le ministère avait assuré qu'elles se limitaient à « fournir des informations à l'Etat tchadien ». Ce qui n'est pas tout à fait faux, sauf que les renseignements en question ont permis au pouvoir en place de localiser avec précision ses adversaires, pour mieux les combattre. Il n'est donc pas surprenant que de plus en plus de voix s'élèvent pour considérer que les activités des EFT ont largement débordé le cadre de l'accord de 1976. « Ce qui se fait aujourd'hui n'entre pas dans le cadre de ce texte et n'a aucune base juridique », estime Kamougue Wadal Abdelkader, qui a signé le document de 1976 en tant que ministre des Affaires étrangères. « On a triché avec ce texte », ajoute l'ex-ministre et actuel opposant. « Les avions français qui fournissent des renseignements aux forces armées tchadiennes participent aux actions de guerre », juge-t-il, « parce que le renseignement est un élément essentiel de l'engagement militaire ». A plusieurs reprises, les rebelles ont eux aussi dénoncé le « soutien » militaire français à N'Djamena. « Deby a été pratiquement installé au Tchad (en 1990) par des éléments français, il bénéficie du soutien français et il a des rapports particuliers avec le président Jacques Chirac », accuse l'opposant Saleh Kebzabo. « Tous les régimes successifs ont bénéficié depuis 1976 de la coopération avec la France », répond l'actuel chef de la diplomatie tchadienne Ahmat Allami. Ce qui n'est pas faux non plus puisque l'opposition se recrute souvent dans les rangs d'anciens dignitaires, ou des piliers du régime voire des régimes successifs. Mais là où tout change, c'est quand la France fait une autre lecture de l'accord de défense. « Ce que l'on souhaite par dessus tout, c'est s'opposer à la prise du pouvoir par la force et ancrer le processus démocratique au Tchad », indique en ce sens l'officier français. Donc, une fonction d'arbitre. Mais un parti-pris en réalité au vu des accusations de l'opposition.