Les Mauritaniens sont une nouvelle fois appelés à élire leur président de la République au second tour qui se tiendra aujourd'hui sous l'œil de plus de 300 observateurs internationaux et de 800 observateurs nationaux. Quelque 1,1 million d'électeurs devront choisir entre deux candidats de la même génération, à savoir Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, 69 ans, et Ahmed Ould Daddah, 65 ans, qui s'affrontent dans cet ultime round qui mettra fin à une période de transition de 19 mois. Entamée suite au coup d'Etat du 3 août 2005 renversant Maaouiya Ould Taya après plus de 20 ans de règne sans partage, cette transition a été jusque-là respectée par la junte militaire qui s'est engagée à restituer le pouvoir aux civils à l'issue de cette élection présidentielle, laquelle est considérée comme la plus libre depuis l'indépendance de la Mauritanie en 1960 Le premier tour, qui s'est déroulé le 11 mars dans la transparence et la neutralité de l'administration, a vu l'éparpillement des 790 000 voix sur les 19 candidats. Cela s'explique, selon de nombreux observateurs, par la nature complexe de la société mauritanienne, composée de plusieurs sensibilités ethniques et raciales, allant des Maures (les Arabo-Berbères) aux Harratine (ex-esclaves), en passant par les Négro-africains (Soninke, Wolof, Toucouleur, Bambaras, Foulons, Saralokés, Soninkés et Peuls). Les candidats, si nombreux au premier tour, représentaient ces différentes sensibilités ainsi que d'autres à caractère religieux, incarnées notamment par le candidat recalé Salah Ould Henenna, qui a arraché la sixième place au premier tour et qui soutient Ahmed Ould Daddah au second tour. Les reports de voix joueront un rôle déterminant dans cet ultime tour. Et selon certains spécialistes de la Mauritanie, le candidat le mieux placé est Cheikh Abdallahi, même si l'élection s'annonce très ouverte. Figurant en tête au premier tour avec près de 25% des suffrages exprimés, M. Abdallahi a réussi à gagner le soutien de deux candidats recalés, à savoir le jeune candidat Zeine Ould Zeidane (plus de 15%) et Messaoud Ould Boulkheir (près de 10%), 64 ans, qui est le porte-étendard des Harratine. Ce dernier a montré à quel point les pronostics peuvent changer du fait que les Mauritaniens sont politiquement versatiles et changent de « camp » sans état d'âme. En effet, Ould Boulkheir a surpris tout le monde en annonçant son soutien à Cheikh Abdallahi, lui qui est membre de la Coalition des forces du changement démocratique (CFCD), entité politique censée soutenir l'autre candidat, à savoir Ould Daddah qui a arraché au premier tour plus de 20% des suffrages exprimés. Sidi Ould Cheikh Abdallahi est également soutenu par l'ex-majorité présidentielle au pouvoir avant le coup d'Etat et se présente comme « le président qui rassure » et qui assure d'unir les Mauritaniens autour des « intérêts nationaux ». Outre d'avoir bénéficié d'un large soutien auprès des hommes d'affaires mauritaniens qui n'ont pas lésiné sur les moyens financiers pour faire de sa campagne un grand show partout où il passe, M. Abdallahi est présenté, par ses adversaires, comme le candidat de certains membres du Conseil militaire pour la justice et la démocratie (CMJD). Chose qu'il a lui-même démenti à maintes reprises comme l'a fait également le président dudit conseil et chef de l'Etat, le colonel Ely Ould Mohamed Vall. En dépit de ses soutiens, Cheikh Abdallahi n'est pas si confiant de le remporter au second tour, sachant que le candidat rival n'est pas des moindres et jouit d'une grande popularité due surtout à son passé de militant inflexible pour la démocratie et d'ardent opposant au régime renversé de Maaouiya Ould Taya (1984-2005), aujourd'hui en exil au Qatar. Ahmed Ould Daddah, demi-frère du premier président de cette ex-colonie française, Moctar Ould Daddah, a bénéficié, lui aussi, des reports de voix. Ould Daddah, qui joue même la carte des islamistes pour arriver au pouvoir, notamment celle de Salah Ould Mahmoud Henenna,— 42 ans, candidat indépendant, ex-commandant de l'armée et principal instigateur de deux tentatives de coup d'Etat avortées en 2003 et en 2004 contre le président déchu —, a réussi à ramener dans son camp l'autre candidat indépendant, Ibrahima Moctar Sarr, qui a arraché la 5e place au premier tour avec 7,95% des suffrages exprimés. Candidat malheureux en 1992 et 2003 lors de scrutins dont il a contesté la régularité, Ahmed Ould Daddah a recueilli près de 21% des voix au premier tour mais n'est arrivé en tête que dans deux régions, Nouakchott et son fief du Trazra (centre-ouest). Contrairement à son rival, qui a réussi à se placer en bonne position à travers les 12 régions que compte la Mauritanie. Ainsi, Abdallahi joue cette carte ainsi que celle de disposer d'une majorité parlementaire (54 députés) pour gouverner le pays. Se considérant comme l'homme du consensus national « capable » de rassembler le plus grand nombre de forces vives de la nation autour de lui, Abdallahi paraissait plus « serein » lors de sa dernière conférence de presse tenue vendredi à Nouakchott. Ce qui n'est pas le cas de Ahmed Ould Daddah qui a exprimé, quant à lui, sa peur de voir ce second tour entaché de fraude. Ould Daddah a même accusé l'autre « camp » de monnayer argent contre des voix. En dépit de ces craintes, Ould Daddah croit dur comme fer à ses chances de gagner au second tour. Un tour qui constitue une première dans ce pays largement désertique de 3,1 millions d'habitants qui ont vécu pendant près d'un demi-siècle sous les coups et les contre-coups d'une junte militaire au pouvoir. Depuis son indépendance, la Mauritanie n'a connu que des présidents qui sont arrivés au pouvoir par des coups d'Etat et qui se sont ensuite fait réélire dès le premier tour lors de scrutins entachés de fraudes.