Le détenteur de la Palme d'or en 1975, dresse un tableau plutôt affligeant de la situation du cinéma dans le monde arabe, en général et en Algérie, en particulier... Il est né le 26 février 1934 à M'sila, en Algérie. Avant d'être cinéaste, scénariste et acteur, Mohamed Lakhdar Hamina passe une enfance et une scolarité assez chaotiques. Il abandonne les cours de l'Institut national du cinéma de Prague et se consacre aux travaux pratiques et plus particulièrement aux prises de vue. Il fait ses études en France, puis gagne Tunis lors de la guerre d'Algérie, où il travaille pour le Gouvernement provisoire de la République algérienne (Gpra). Il devient opérateur, sur le tournage de Yasmina, La Voix du peuple, et du film Les Fusils de la liberté de Djamel Chanderli. Il tourne des documents sur l'indépendance de l'Algérie au lendemain des accords d'Evian (1962), et dirige ensuite, en Algérie, l'Office national cinématographique et des industries du cinéma (Oncic). De retour en Algérie en 1962, il crée l'OAA, qu'il dirige dès 1963 jusqu'à sa dissolution en 1974. Plus tard, il entre à l'Oncic, qu'il dirige de 1981 à 1984. Personnalité dominante, il remporte la Palme d'or au festival de Cannes de 1975 pour son oeuvre la plus célèbre: Chronique des années de braise. «Avec Chronique, j‘avais eu envie d'expliquer pour la première fois comment est arrivée la guerre d'Algérie. Cette révolte, qui est devenue la Révolution algérienne, est, non seulement, contre le colonisateur, mais aussi contre la condition de l'homme», dit Mohamed Lakhdar Hamina qui ajoute: «Mon film n'est qu'une vision personnelle même s'il prend appui sur des faits précis». Le Vent des Aures en 1967 obtient le Prix de la première oeuvre sur La Croisette. En 1982, Vent de sable et La Dernière Image en 1986, dont il signe également le scénario et les dialogues, sont en compétition. Dans les années 1960, Mohamed Lakhdar Hamina s'évertue à dénoncer dans ses films les conditions de vie des Algériennes. Présent du 28 juillet au 3 août à Oran, à l'occasion de la première édition du Festival du cinéma arabe, qui lui a rendu hommage lors d'une grande cérémonie, ce monument du cinéma algérien revient sur son passé glorieux tout en dénonçant le marasme et le grand gouffre dans lequel est tombé actuellement, selon lui, le cinéma algérien... L'expression: Vos appréciations d'abord sur le Festival International du cinéma arabe d'Oran auquel vous êtes invité? Mohamed Lakhdar Hamina: J'ai une prédilection pour Oran. J'adore cette ville. J'ai l'impression qu'Oran sort presque du contexte de l'Algérie. On voit des gens sympas. On s'y amuse. Je n'ai jamais vu des gens aussi sympas et gentils qu'à Oran. Je ne suis pas revenu depuis 40 ans. C'est totalement différent d'Alger. Je n'aime pas Alger. Les Algérois m'indisposent. J'ai l'impression d'être dans un autre monde ici. Qu'en est-il pour le festival? Je suis content, bien entendu, que mon ami Habib Chawki ait choisi Oran pour abriter ce Festival international du cinéma arabe. Ce qui est important à signaler est que ce festival fait partie des rares événements qui traitent du film arabe et se déroulent dans le monde arabe. Où en sont les Arabes sur le plan culturel? Ceci est une autre paire de manches. Ils sont d'une nullité affligeante. Ils investissent dans tout sauf dans la culture. Oran va peut-être faire réviser les choses mais la culture dans le monde arabe c'est à pleurer! Ce n'est pas l'arbre qui va cacher la forêt. Ce n'est pas le festival d'Oran qui va cacher cette tare. Selon le président de ce festival, M.Hussein Fahmi, vous êtes celui qui a apporté de la fierté au cinéma arabe en remportant la seule et première Palme d'or dans l'histoire du cinéma arabe. Je ne l'ai pas remportée pour les Arabes, mais d'abord pour le cinéma algérien. Le cinéma arabe pour moi est une ineptie. Les pouvoirs arabes n'aiment pas le cinéma arabe, ni la culture arabe. Nous sommes à Oran dans un cimetière vivant. Ce festival se déroula dans un pays qui essaie de faire «du bouche-à-bouche» au cinéma arabe et un peu à la culture arabe...Le cinéma arabe est cliniquement mort. Il y a à peine 20 ans, nous étions considérés parmi les 10 premiers cinémas du monde. Aujourd'hui, nous sommes peut-être après le Burkina Faso. Pourquoi? Les causes sont multiples. Je crois que les pouvoirs politiques n'ont rien à voir avec le cinéma. A mon époque, le président Boumediene ne pouvait pas concevoir un anniversaire, 5 Juillet, 1er Novembre ou autre sans film. Même les Egyptiens ont perdu de leur lustre d'antan. Avant ils faisaient 200 films par an. Ils n'en font plus que 15 ou 20 aujourd'hui, parce qu'ils sont concentrés sur ces feuilletons «narcotiques» qui inondent leurs chaînes télé. Un mot sur l'hommage qu'on vous a rendu lors de ce festival? Je n'en ai rien à cirer des hommages. Les hommages m'indisposent. L'hommage pour moi sera effectif lorsque mes films seront vus par la nouvelle génération qui ne connaît pas mes films parce qu'il n'y a pas assez de films. A mon époque, j'avais obtenu des salles selon une ordonnance signée par le président Chadli Bendjedid, sans même passer par l'Assemblée. J'ai donc obtenu des salles de cinéma pour faire connaître aux jeunes Algériens leur passé, leur histoire. Pour savoir où aller, il faut savoir d'où on vient. La jeunesse algérienne d'aujourd'hui ne connaît pas mes films. Ceux de la vraie Révolution algérienne, pas celle des types qui ont une pseudo-carte d'ancien moudjahid.... C'est pareil pour votre fils, Malik Lakhdar Hamina, avec son film que vous avez aidé à réaliser, Automne octobre à Alger censuré en Algérie. Or, on dit qu'il sera promu plus tard film-culte pour la jeunesse algérienne d'autant qu'il traite de cette période connue par tous mais pas encore vue au cinéma.. Tout à fait. Ce film deviendra un jour une oeuvre-culte pour la jeunesse car mon fils a su un moment, comme son père, définir les choses. 1988, on a matraqué des jeunes. Les gens se demandaient où aller pour vivre. Mon fils a fait un film de son âge. J'étais fier que mon fils, au lieu de faire une comédie pour gagner de l'argent, fasse ce film important. Je suis heureux que mon fils me ressemble. Que le film ne passe pas en Algérie n'est pas une surprise pour moi. J'ai fait jusqu'à présent des films coproduits avec l'Algérie, qui restent encore interdits dans ce même pays. C'est pareil avec mon dernier film La dernière image (1985) jamais projeté jusque-là en Algérie. Comment voyez-vous l'avenir du cinéma en Algérie? Vous posez la question à moi ou à Bouteflika? Le seule personne qui peut faire changer les choses est le président de la République. Tout le reste est de la littérature. Comment peut-on parler de cinéma alors qu'on ne peut pas parler des films dans des salles. A l'époque où on considérait Chadli comme un analphabète, il m'a dit: «Lakhdar, tu as refusé d'être ministre de l'information mais je te demande de prendre le cinéma.» Je lui ai répondu que je voulais un minimum de 10 millions de dollars et les salles d'Algérie. Il m'a tout donné par ordonnance! Et j'ai produit 31 films pendant ces deux ans et demi-là. Chose que l'Algérie n'a pas fait 20 ans après, depuis que j'ai démissionné en 1984. je demanderai bien une chose aux responsables algériens c'est de lire le livre de Marguerite Yourcenar, Les mémoires d'Hadrien. Comment un empereur romain voyant la décadence de Rome, a dit: «Il n'y a qu'une seule chose qui peut sauver Rome, c'est la culture!» Il s'est investi dans la culture. Voilà ce qu'il faut faire...