Censés être des espaces de détente et de quiétude dans une capitale asphyxiée à cause de la pollution et du bruit, les jardins publics sont désertés par les familles. Insécurité, lieux de débauche, incivisme, nos parcs ont vraiment mauvaise réputation. Le parc des Pins d'El Biar, situé entre deux rues continuellement encombrées par le flot incessant de véhicules, apparaît de prime abord comme une bulle d'oxygène avec ses pins ombrageux, ses plantes odorantes et sa pelouse bien entretenue. Lors de notre passage, une bande d'adolescents désœuvrés préférèrent piétiner le gazon plutôt que d'occuper un banc. Chahutant et riant à gorge déployée, ils se mettent à pester contre le gardien qui leur demande de quitter les lieux : « Je passe mon temps à sillonner le parc, pourtant les actes d'incivisme se multiplient à longueur de journée : arrachage des plants, piétinement du gazon, abandon de sachets d'emballage... Comme ce jardin ne ferme pas la nuit, il sert de beuverie aux pauvres et SDF de tous genres. Le matin, bouteilles de vin et cannettes de bière jonchent les allées du parc. » Une jolie oisellerie, d'où s'échappent d'agréables chants d'oiseaux, attire notre attention. « Cela fait 10 ans que je vends des poissons et des oiseaux. Ma boutique a été dévalisée à 3 reprises », nous révèle le propriétaire. Pour ceux qui ont connu ce parc il y a 30 ou 40 ans, l'amertume est de mise : « Voyez ce qu'est devenu le bassin où des poissons rouges nageaient, ce qui faisait la joie des petits ! », s'écrie un retraité lisant un journal sur un banc. « Ce parc est sinistré. II a perdu toute son âme. Même les toilettes sont fermées ! » Direction le centre d'Alger. Le parc de l'Horloge possède 2 entrées : l'une donnant sur la rue Docteur Saâdane, l'autre débouchant sur l'avenue Pasteur. L'horloge florale, une petite merveille, qui a valu son nom à ce jardin, est en panne. « C'est l'entreprise d'éclairage public Erma qui est chargée de son entretien », nous apprend le gardien. « Remise en marche à maintes reprises, elle a fini par rendre l'âme », ajoute-t-il. Ici, les agents de l'Edeval, chargée de l'entretien et du gardiennage des espaces verts, s'échinent à planter des fleurs ou à ramasser les ordures. L'un d'eux insiste pour apporter son témoignage : « En dépit du fait que des corbeilles sont mises à la disposition du public, les gens préfèrent abandonner cannettes et emballages sur les bancs ou parterre. De vieux retraités qui arrivent avec des cartons pour s'asseoir, les laissent sur place à la fin de leurs parties de dominos », confie-t-il. Quant au gardien, il nous montre des espaces verts entièrement dépouillés de leurs fleurs et plantes ornementales : « Dernièrement, des policiers ont arrêté un jeune en train de voler des fleurs ici-même pour aller les vendre au marché », raconte-t-il. Avant de quitter ce parc, le gardien nous confie encore : « Bien que l'on ferme les portails la nuit, des délinquants escaladent la grille pour des soirées bien arrosées. Le matin, on trouve des bouteilles vides et même des seringues. » Réputé pour être un lieu malfamé, le square Sofia, situé en contrebas de la Grande-Poste ouvre ses portes tous les matins à 8h pour les refermer à 18h. Deux gardiens se relaient pour assurer la sécurité des lieux. Ce square est doté de toilettes publiques dépendant de l'APC d'Alger-Centre et données en gérance à un privé et juste à côté, s'amoncelle une montagne de bric-à-brac : cartons, bidons, vieilles couvertures... C'est le « logis » de Zohra, une SDF qui vit ici depuis 17 ans, selon ses dires : « Après l'assassinat de mon mari, il ne me reste plus que la rue et mes yeux pour pleurer », nous confie-t-elle. Tout au fond du square, se trouve une cafétéria fermée : « C'est mieux ainsi », estime le gardien. « Cela évite aux chômeurs de s'y retrouver et de se chamailler à longueur de journée ! » Sur un banc, deux jeunes filles outrageusement fardées discutent entre elles. Impossible de se tromper, ce sont des prostituées. Approchées, elles se confient à nous sans aucun problème : « Je viens d'Oran, nous révèle Ahlem, âgée de 21 ans. La misère m'a conduite à vendre mon corps à des hommes de passage. » Quant à Hayette, sa copine, elle raconte qu'elle est orpheline : « Mon père a abandonné ma mère avant ma naissance. Après le décès de ma mère et n'ayant pas de famille, je me suis lancée dans la prostitution pour ne pas crever de faim. Je gagne jusqu'à 2000 DA par client », affirme-t-elle. Hayette a un bébé de 6 mois placé à la pouponnière d'El Biar. L'incivisme, les mauvaises fréquentations et la prostitution ont terni l'image de nos jardins publics. Quel dommage !