Aujourd'hui, les deux tiers des Américains sont contre la guerre en Irak », estime le professeur William B. Quandt, de l'université de Virginie, venu à Oran donner une lecture de « la politique américaine au Moyen-Orient ». La conférence qu'il a donnée hier à la bibliothèque centrale est organisée par le département des sciences politiques, en collaboration avec le centre américain des études maghrébines. Sans présager des résultats de la prochaine élection présidentielle dans son pays en 2009, il a néanmoins affirmé que malgré le départ de George W. Bush après son deuxième mandat et les décisions qui vont être prises, l'impact de la guerre demeurera pendant longtemps. Selon lui, la présence militaire américaine en Irak représente la seule ligne de fracture au Sénat entre démocrates et républicains. Les premiers ayant voté à l'unanimité pour le retrait des troupes et les seconds en grande majorité (excepté deux sénateurs) pour le maintien des forces armées. Mais dans l'analyse qu'il a proposée pour expliquer l'actualité et l'origine de cette intervention des Etats-Unis au Moyen-Orient, les choses ne sont pas aussi délimitées. Habitué de l'Algérie depuis 1966, pays pour lequel il a consacré 3 ouvrages (Les élites politiques, publié durant les années 1960, La transition politique, édité durant les années 1990 et enfin, tout récemment, La société et le pouvoir, un ouvrage qu'il a présenté par la même occasion), il avoue cependant ne venir qu'à Alger. Cette fois, il dit être venu uniquement dans l'Ouest et il a visité le site situé près de Frenda (wilaya de Tiaret) où Ibn Khaldoun a rédigé sa célèbre Mouqadima. Il va justement s'appuyer sur deux idées formulées par ce penseur pour tenter d'expliquer la démarche américaine. Il empruntera d'abord un des éléments constitutifs de la notion de « assabiya » chez Ibn Khaldoun qu'il nomme « solidarité » pour expliquer le processus adopté par les néo-conservateurs pour se constituer en groupe influent et influencer l'administration. L'autre idée qu'il a empruntée à Ibn Khaldoun est celle qui stipule que l'histoire n'avance pas par étapes successives, selon un schéma préétabli. Pour lui, qui pense que beaucoup d'erreurs ont été commises et qui ont abouti à des résultats désastreux, il faut donc analyser le phénomène objectivement avant de juger. Sous l'intitulé « Moment de Bush au Moyen-Orient », il va inclure, sur une période de 6 ans, les éléments de la crise en évoquant le spectre de la guerre civile en Irak, le problème palestinien et la réunion des pays arabes, les rapports entre les USA et l'Iran et, enfin, le Liban, l'Egypte et la Syrie. « Si les politiques ont été déstabilisantes dans la région, c'est par méconnaissance des sociétés qui y vivent », pense-t-il, avant de rappeler que l'intervention en Irak est un processus qui n'était pas évident au départ pour Bush. Dans un article publié en 2000, où il est question de réalisme dans la politique extérieure, Condoleeza Rice avait déclaré, rapporte-t-il, qu'il n'y avait pas d'urgence en Irak. Auparavant, il n'était pas question de destituer Saddam, mais de désarmement, d'isolement et de pression, y compris sur l'Iran pour ne pas que ce pays tire profit de la situation, sachant que Khomeiny avait, rapporte-t-il encore, essayé pendant 8 ans de renverser le régime de Saddam sans y parvenir. « L'équipe de G. W. Bush était formée de fonctionnaires des présidents Ford (Donald Rumsfeld), Reagan et Bush père (Colin Powel et Rice) », rappelle le conférencier américain qui évoque la mainmise sur la Maison-Blanche des néo-conservateurs et cite Paul Wolfowitz et son influence sur la défense. Cette équipe connue pour son fort soutien au Likoud s'est, explique le conférencier, déjà opposée aux accords d'Oslo arrachés par l'ancien président Clinton en considérant que trop de concessions ont été données. Elle était également pour une intervention militaire en Irak dès les premières années de l'actuelle décennie, au moment où Bush n'était pas encore décidé. Beaucoup de thèses ont été lancées pour expliquer l'intervention en Irak, en citant le pétrole, le rêve d'empire et la volonté de faire émerger Israël comme seule puissance régionale. Le professeur William Count prône, lui, une autre explication et pense que la motivation de la guerre est due à la volonté des militaires de démontrer que les Etats-Unis disposent de méthodes modernes de guerre qu'ils peuvent déployer rapidement. Apparaît alors la notion de guerre préventive qui, conjuguée à la nouvelle stratégie de sécurité nationale en 2002, allait faire de l'Irak un moyen de mettre en évidence tout cela. Parlant de ses convictions personnelles, le conférencier a déclaré que le régime de Saddam, autoritaire, dictatorial, n'était pas aimé dans son pays et a fait beaucoup de mal à son propre peuple, mais que d'autres moyens étaient envisageables pour y mettre fin en laissant par exemple les Irakiens prendre eux-mêmes leur destin en main. L'idéal pour les Etats-Unis est, selon lui, d'avoir un Irak stable, démocratique et proaméricain. Mais la méconnaissance de la société irakienne a fait qu'on se retrouve avec la mainmise des chefs de tribu, des chefs de guerre..., c'est-à-dire loin de la démocratie. Il évoque des centaines de milliers de morts irakiens et un million de déplacés, quelque 3000 morts américains et 25 000 blessés pour dire que la politique ambitieuse de Bush est un fiasco. Par extension, il atteste que le président américain, pour qui démocratie égale alliance avec les USA, croyait même qu'en démocratisant l'Irak on allait résoudre le conflit israélo-arabe. La réalité est que les élections de 2005 en Irak ont fait émerger les appartenances sectaires, celles organisées en Egypte ont renforcé les Frères musulmans et les élections de 2006 en Palestine ont donné une large victoire au Hamas. Sa conclusion est que « l'enthousiasme américain pour démocratiser le Moyen-Orient s'est refroidi ».