Mercredi 11 avril, le soir. Alger a froid. Taux d'humidité : 73%. Taux d'angoisse : haut. Les rues sont plus désertes que d'habitude. C'est le degré zéro de la circulation. Seuls quelques lieux de nuit s'isolent de la morosité post-apocalyptique derrière des portes en fer. Barreaux et policiers en faction barrent en amont et en aval la rue Docteur Saâdane qui mène vers le Palais du gouvernement. La nuit est bombardée de SMS et d'appels après la saturation des réseaux toute la journée. « On garde les voitures pour vingt dinars, on peut garder nos quartiers des voitures piégées pour cinquante », propose un jeune de la rue Mulhouse, près de la place Audin. Il réfléchit un moment : « Et pourquoi pas s'organiser en tour de garde ? » « C'est arrivé, on peut souffler, pense un ancien journaliste, tout le monde savait plus ou moins qu'Alger serait la cible d'une attaque. » « Une tension couvait dans la ville depuis les attentats de février à Dergana et Réghaïa. L'abcès est crevé. Après, on verra », poursuit-il. Jeudi 12 avril. La ville a la gueule de bois. Le jeudi des grands boulevards a été reporté. Peu de monde dans les rues Larbi Ben M'hidi et Didouche Mourad, même l'après-midi. Le cinéma Thaqafa (ex-ABC), à la rue Didouche Mourad, a tout simplement annulé la projection de Blood Diamond. A la surprise générale, un cortège de mariés dévale Didouche Mourad toute ghaïta et tabla de zorna dehors. Des visages se décrispent. « Et bien, il faut bien continuer à vivre », lâche un comédien rencontré sur Didouche, encore sous le choc des images d'horreur du « mercredi noir ». L'écran géant près de la Grande Poste projette toujours les interminables courses-poursuites de Tom and Jerry. « Quand le chat Tom attrapera la souris Jerry, on résoudra la crise algérienne », s'amuse un Algérois qui préfère sa soirée devant Al Jazeera pour suivre les actualités balistiques maghrébines. Le ciel de plus en plus gris prépare le soir. Alger se vide. « Jamais on a si bien circulé en voiture à Alger », fait-on remarquer. Cynique ? « Malheureusement, on a pris l'habitude des horreurs », dit-on. Alors que le ministre de l'Intérieur, lui, reproche aux Algériens de s'être habitués à la paix. « Ce ne sont pas eux justement qui nous répètent que la paix est revenue. On les a crus, c'est tout », lâche Ahmed, la trentaine, cadre, désabusé. Du côté du Palais du gouvernement, le chantier est ouvert. Depuis six heures du matin, des ouvriers s'attellent au nettoyage des alentours du rond-point et de l'entrée du Palais touchée de plein fouet par la voiture du kamikaze. On s'attaque aussi aux trous béants sur la façade pour les colmater, on met de l'ordre dans les bureaux dévastés, on remet en marche les circuits d'eau, d'électricité et du gaz. Un grand voile de chantier en vert recouvre une partie de la façade soufflée du pouvoir exécutif. Des camions de la société Asrout, de l'UGTCU (chaussée), de la SEEAL (eau), de Sonelgaz, etc. stationnent tout au long de la serpentante rue Docteur Saâdane. Fermement, les policiers empêchent les journalistes de s'approcher du point d'impact. Des Chinois se font aussi reconduire par un policier qui commence par lancer « nihaou », le salut mandarin que les Algérois ont appris depuis quelque temps. Du haut de la rue Frantz Fanon qui surplombe le Palais, des familles, voitures garées sur le côté, se penchent sur la rambarde pour scruter le bâtiment éventré en contrebas. Vendredi 13 avril. Une gerbe de roses rouges contraste avec l'arrière-plan de la façade décapée du commissariat de Bab Ezzouar. « Des riverains ont déposé ce matin ces fleurs en souvenir des victimes. Les gens ont été très attentionnés avec nous », raconte un policier rencontré sur le lieu des deux autres attaques kamikazes à une douzaine de kilomètres à l'est d'Alger-Centre. Le cratère de la première explosion a été recouvert de bitume. Un carré plus foncé sur la chaussée menant au commissariat témoigne de l'épicentre de l'impact meurtrier. Le dispositif autour des postes de police a été renforcé. Les routes adjacentes sont parfois interdites à la circulation. Des mosquées alentours fusent des prêches antikamikazes. A côté, à la nouvelle cité La Concorde civile, les enfants jouent au football malgré la pluie.