Créée en 1996, la brigade de lutte contre le trafic des biens culturels a déjà de belles « prises » à son actif. L'existence d'un marché « parallèle » des objets d'art répond, d'après le commissaire Moulay Achour, chef de la brigade, à une « demande » de plus en plus forte provenant du marché local mais aussi et surtout, européen. « La valeur des objets volés, dit-il, renseigne sur le profil des clients », souvent des « amateurs d'art ». Il en veut pour preuve, le vol en janvier dernier de manuscrits anciens, datant des VIIIe et XIIe siècles, dont a été victime un collectionneur algérois. Il s'agit de manuscrits d'El Mouatissim et d'un autre sur l'imam Ali. Toujours au mois de janvier, deux affaires de trafic ont été traitées par la même brigade et elles n'ont rien de banal. La première, rendue publique, concerne un vol par effraction au musée du Parc national du Tassili. La brigade de recherche d'Alger qui enquêtait sur un réseau de trafic de drogue a pu, par un heureux hasard, récupérer à Illizi un trésor archéologique dérobé comprenant 98 pièces dont des bifaces, des hachereaux, des nucléus, des pédoncules, des lames etc, toutes de la préhistoire. Au cours du même mois, deux canons, l'un datant de l'occupation turque et l'autre plus ancien, espagnol, ont été dérobés d'un fort de la corniche oranaise. Ces pièces de guerre ont été retrouvées à Alger chez un artisan qui les avait achetées au prix de 5000 DA l'unité. Ces dix dernières années, cette brigade spécialisée a eu à traiter 45 affaires liées au trafic et au vol de biens culturels. Les musées et les sites classés ont subi, d'après l'officier, une véritable saignée durant la décennie noire. En 1996, trois vols ont ciblé les musées de Skikda, Guelma et le Forum romain d'Hippone (Annaba). Les pillards emporteront avec eux le célèbre masque de Gorgone, en marbre, pesant plus de 400 kg, et neuf têtes, en marbre également, d'empereurs romains, Marc Aurèle, Caracalla, Julia Domna, la mère de celui-ci et même la tête du demi dieu Hercule. Grâce à la diffusion en international des photos et fiches techniques des objets volés, Interpol retrouvera la tête de Marc Aurèle mise à prix à 500 000 dollars dans une galerie d'art new-yorkaise. Les « pourparlers » seraient actuellement en cours pour rapatrier l'héritage. Le musée de Guelma récupérera, en 1999, via Interpol, deux pièces : un buste et une tête de femmes romaines retrouvées en Tunisie. Neuf autres objets soustraits en 1995 des sites archéologiques de Tébessa ont été retrouvés dans les mêmes circonstances par les Tunisiens. Il s'agit essentiellement de stèles votives dédiées à des idoles, Saturne et Amon entre autres. En 2001, c'est la tête en marbre de l'empereur Adrien, datant de l'époque antique, qui a été volée. « Une pièce rare qu'on ne trouve même pas à Rome », affirme le commissaire. La Baigneuse et la tête de Marc Aurèle Sur la trentaine d'affaires solutionnées, Moulay cite, entre autres, le vol de la Baigneuse du jardin d'Essais en 1996. Dérobée, d'après l'officier, par des gardiens de l'établissement. L'œuvre de Pierre Louis Béguet, atterrira dans le… jardin de l'épouse d'un ancien ministre, achetée pour une somme de 43 millions de centimes. La sculpture en bronze a été récupérée six ans après sa disparition. La collaboration avec les services de police français a permis, révèle le commissaire, de reprendre deux des cinq toiles volées en 1985 du musée de Zabana (Oran). Les toiles étaient exposées dans une galerie d'art parisienne et devaient être vendues aux enchères. A l'ex-conservation municipale de Bologhine (Alger), c'est une statuette de Marianne façonnée des mains du sculpteur Paul Belmondo qui sera exfiltrée en 2002 par un employé de l'établissement. Le buste de Marianne a été retrouvé par les policiers chez un brocanteur au marché de vieilleries de Oued Kenis à Alger. En 2003, la résidence du wali de Souk Ahras a été cambriolée. Des décorations de l'époque romaine : un lustre en bronze, des chapiteaux, une stèle funéraire, une statuette subtilisés ont été retrouvés exposés dans un marché aux puces de la ville. A Sétif, la même année, les policiers retrouveront un lot de pièces volées, dont 75 pièces de monnaie antique et 14 statues romaines en bronze, statuettes en marbre originales et d'autres contrefaites, taillées dans du marbre ancien. Au cours de cette année, à Khenchela, des pointes de flèches préhistoriques et des coupes anciennes frappées du signe de Bacchus ont été saisies par les mêmes services. Le musée de Mostaganem a été dépossédé de 11 objets antiques, principalement des ustensiles de cuisine (en cuivre). En 2005, les policiers d'Alger mettront la main sur un trafiquant, très « recherché », et sur 350 objets de valeur datant de l'époque punique, romaine, préhistorique… etc. Originaire de Khenchela, l'homme, la quarantaine, artisan de métier, était loin, d'après les policiers, d'avoir une conduite d'« amateur ». Il ne se contentait pas de démarcher « ses » produits auprès des brocanteurs algérois, il investissait même dans la vente en ligne sur le site Ebay. « Saturne » au marché de Tadjenanet Des pointes de flèches préhistoriques étaient vendues à 45 000 euros. Cela démontre de la sophistication des moyens qu'utilisent actuellement les trafiquants. Une visite sur certains sites de vente en ligne permet de constater l'ampleur du trafic d'objets d'art et archéologiques, provenant de pays pillés comme l'Algérie. Un trafic qui procure des profits énormes aux trafiquants et aux concepteurs des sites web. Les gendarmes sont aussi impliqués dans la lutte contre ces trafics. Si durant la décennie 1990, la gendarmerie n'a relevé que trois cas d'atteinte au patrimoine, de 1998 à 2004, le nombre est passé à 25 affaires. La création, en 2005, d'un bureau central et de quatre cellules régionales spécialisées, a permis de saisir un volume considérable de pièces archéologiques, 1131 pièces en tout dont 96 pièces de monnaie ancienne. La région de l'Est est la plus touchée par les vols et les dégradations, constate le lieutenant Medjahed, officier au bureau central. L'affaire Bouchegouf à Guelma illustre, d'après l'officier, le degré d'organisation des trafiquants. Un réseau de quatre individus spécialisé dans le commerce illicite d'objets archéologique à destination de Tunisie a été démantelé en septembre 2006. Ont été découverts sur les trafiquants qui opèrent à Taref, Annaba, Guelma et Souk Ahras, des villes au fort potentiel archéologique, une stèle romaine en bronze, 6900 pièces de monnaie en or et argent. La bande cherchait à vendre sa « marchandise » à 2,5 milliards de centimes. Les croquis d'objets archéologiques retrouvés sur un des membres de la bande renseignent, selon l'officier, sur le mode opératoire. Les croquis servent à présenter les objets aux clients tunisiens. « Une statue de Saturne volée du musée de Djemila en 2003 a été retrouvée l'année dernière suite à une enquête sur un trafic de drogue. » La statue datant du IVe siècle était exposée à la vente au marché de Tadjnanet. Le vendeur voulait en tirer, d'après les gendarmes, 1,5 milliard. L'été 2006, les mêmes services saisiront à Ouargla 18 pièces préhistoriques chez un marchand de bibelots. La dernière affaire en date a trait à la saisie à Tlemcen de quatre peintures en passe d'être vendues à des clients marocains. L'expertise en cours déterminera qu'il s'agit réellement d'authentiques Picasso. Les tableaux en question ont été volés de Medrissa, à Tiaret, dans d'anciennes résidences coloniales. La plus retentissante affaire instruite par les gendarmes demeure celle des cinq touristes allemands accusés de pillage. Le tribunal de Djanet les avait condamnés, en novembre 2004, à trois mois de prison ferme.