L'affaire Khalifa n'aura-t-elle servi à rien ? Il faut bien le redouter avec la tournure que vient de prendre l'affaire Tonic Emballage. Tous les spécialistes s'accordaient à affirmer qu'une intervention plus précoce de la Banque d'Algérie dans Khalifa Bank, notamment par la nomination d'un administrateur au début de l'année 2002, aurait sans doute permis de sauver l'argent des déposants publics en stoppant la saignée du financement à perte des entreprises et des frasques de Rafik Khalifa. Redressement ou liquidation. Tel était l'enjeu encore jusqu'à juin 2002. A condition d'avoir le souci de récupérer l'argent public plus lancinant que celui de faire disparaître l'objet moral du délit et ses milliards de dinars avec lui. L'incarcération de Abdelghani Djerrar, PDG de Tonic Emballage, jeudi dernier, laisse présager que les autorités algériennes aiment jouer à l'effaceur à chaque fois que des montagnes de deniers publics sont en péril. De quoi s'agit-il ? D'une ligne de crédit bancaire sans précédent ouverte au début des années 2000, qui a culminé jusqu'à 65,5 milliards de dinars et qui a permis à Tonic Emballage de créer sur la zone industrielle de Bou Ismaïl le plus grand complexe papetier d'Afrique. Investissement surdimensionné, marché mal évalué, qualification de la ressource humaine inadaptée, maîtrise technique des équipements approximative… l'affaire décolle mal : elle ne permet pas de faire face aux frais financiers qui tombent à échéance à partir de 2005. C'est sans doute ce qui pousse Abdelghani Djerrar à se diversifier dans des acquisitions spéculatives au rendement financier plus rapide. Les révélations sur le crédit étourdissant dont a bénéficié Tonic Emballage lève – au pire moment – le spectre d'une autre banqueroute semblable à celle du groupe Khalifa. C'est alors que Badr Bank, la banque publique qui a assuré l'essentiel du financement du projet de Bou Ismaïl, change de DG et met son client Tonic sous pression pour s'assurer du remboursement de son crédit. Fermeture des facilités de caisse, mise sous séquestre des biens patrimoniaux non liés à l'activité, négociation de nouvel échéancier : un nouveau plan de remboursement est arrêté. L'équation est très simple : tant que Tonic Emballage fonctionne, Badr Bank entretient l'espoir de sauver sa gigantesque mise. Abdelghani Djerrar ressemble à un industriel d'éprouvette né du dernier acte de la guerre civile algérienne, celui de la prime de départ d'un grand protagoniste en galons des années de sang. C'est connu jusque dans le grand public. Mais la poursuite de son action à la tête de son entreprise pour la faire prospérer est indispensable à la tenue du plan de remboursement. Une seconde usine doit être inaugurée cette fin de semaine, le frère de Abdelghani Djerrar affirme que 11 milliards de dinars ont déjà été remboursés à la Badr et que la capacité de remboursement de son entreprise sera renforcée par la montée en production de cette nouvelle unité. La Badr a-t-elle annoncé un casus belli dans le plan de remboursement ? Le public n'a rien appris de tel. C'est pour cette raison que la question est sérieuse de savoir si le but recherché de l'action publique – en décapitant Tonic Emballage de la sorte – est bien de récupérer un montant équivalent à 70 km d'autoroute Est-Ouest. L'autre explication est celle du règlement de compte. Et là le lien avec l'affaire Khalifa devient pesant. L'entourage du président Bouteflika a été particulièrement évoqué. Avec l'affaire Tonic, on change de personnel politique. Et tant pis pour les milliards de dinars perdus.