La question lancinante est de savoir si les recherches iront jusqu'au bout. L'actualité en Algérie d'ici à l'an prochain sera marquée par de nouvelles révélations sur l'affaire Khalifa. Et vraisemblablement par de nouvelles arrestations. La question est de savoir aujourd'hui si les pouvoirs publics iront jusqu'à inculper les commanditaires. Car le nœud de l'affaire réside en ceci : connaître qui a ordonné aux dirigeants des entreprises et institutions publiques de déposer leur argent à la banque Khalifa. Pour comprendre le mécanisme de l'escroquerie du siècle, il faut savoir quelle est l'utilité des placements en dinars. L'importance de l'argent public illégalement transféré à l'étranger par Khalifa Bank Ce n'est par pur hasard si la Cnas, la Cnan, les Opgi, des banques et entreprises publiques ont déposé des milliards de dinars à Khalifa Bank, totalisant l'équivalent d'environ 1 milliard de dollars, correspondant à l'argent public aujourd'hui non encore récupéré. Des spécialistes et proches du dossier s'accordent à souligner que ces fonds publics ont servi grâce à des surfacturations d'opérations d'importations et de leasing destinées à transférer d'importants capitaux à l'étranger. Ils s'accordent à souligner aussi que ce ne sont pas seulement les taux d'intérêts élevés de 17 % qui sont à l'origine des dépôts des entreprises et institutions publiques, mais bel et bien des instructions données d'en haut. Abdelmoumène s'est donc servi de ces dinars pour les besoins de ses importations et factures de leasing. Qu'on se rappelle, toute entreprise publique et privée, pour une opération d'importation, doit déposer des dinars, auprès de la banque domiciliatrice, correspondant au montant de la facture en devises. Tous ces transferts illicites d'importants capitaux vers l'étranger n'ont été rendus possibles que parce qu'il y avait autant de dinars déposés à Khalifa Bank grâce aux sociétés et institutions étatiques. La Banque d'Algérie, en principe gendarme de la régularité des opérations bancaires, n'a pas été au départ, dans cette affaire, regardante sur la légalité des opérations, se contentant de vérifier sommairement si les sommes en dinars déposées correspondaient aux montants des importations. Il s'ensuit que tant que les investigations ne remontent pas jusqu'à identifier ceux qui ont ordonné de déposer l'argent public à Khalifa, ajoutent ces spécialistes, on fera payer comme d'habitude “l'addition salée” aux lampistes, en un mot les exécutants, d'autant qu'il est plus difficile de fournir des preuves contre les premiers. “L'aéroport d'Alger, le territoire de Khalifa” N'oublions pas le contexte. Lorsque l'argent public était déposé chez Khalifa, Abdelmoumène jouissait d'une solide position. L'image véhiculée était à cette époque qu'on avait affaire à un intouchable, bien introduit chez les décideurs. “J'avais l'impression, lors de la visite de l'équipe de Marseille, que l'aéroport d'Alger était le territoire de Khalifa et qu'il n'y avait d'autre autorité dans cette enceinte que celle du groupe”, raconte un responsable à l'époque au Ministère de l'Intérieur. À telle enseigne que ses importations de pièces détachées pour les besoins de la compagnie aérienne Khalifa Airways s'effectuaient de façon sauvage. Nul besoin de déclarations. Les avions de Khalifa Airways faisaient le va-et-vient entre l'Algérie et la France, transportaient du matériel pour les besoins de maintenance et de croissance de la compagnie aérienne incognito côté algérien, indique une source sûre. Qui allait inquiéter Abdelmoumène à cette époque ? Depuis, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts. Les pouvoirs publics sont beaucoup plus déterminés. Le chef de l'Etat aurait donné le ton. “Si vous avez des preuves, même contre mon frère, faites actionner la justice”, susurre-t-on dans le milieu décisionnel. Il serait quand même étonnant que les investigations remontent jusqu'aux “ordonnateurs des dépôts”, d'autant que les hauts responsables qui ont touché au miel n'ont pas l'habitude de laisser des traces. La justice française mène ses investigations : Le liquidateur de la banque entendu Le liquidateur judiciaire de Khalifa Bank a été entendu mardi au tribunal de grande instance de Nanterre, en banlieue parisienne, par la juge d'instruction chargée de l'enquête sur des malversations financières présumées dans le groupe algérien Khalifa, a-t-on appris de sources proches du dossier. La juge Isabelle Prévost-Desprez devrait prochainement lancer des commissions rogatoires internationales pour demander la collaboration de la justice algérienne dans l'enquête sur le groupe en déroute financière, selon les mêmes sources. Durant l'entretien de près de trois heures, le liquidateur algérien, Moncef Badsi, a tenté de démontrer à la juge “l'existence de liens financiers entre des infractions commises en Algérie à la banque Khalifa, et des dépenses effectuées par les dirigeants du groupe en France”, a indiqué une source proche du dossier. Moncef Badsi avait déposé, fin juillet, une demande de constitution de partie civile dans ce dossier, qui n'a pas été acceptée pour le moment. La femme de l'ex-PDG du groupe Abdelmoumène Rafik Khalifa s'oppose notamment à cette constitution de partie civile, selon la même source. Mme Khalifa est mise en examen dans cette affaire pour recel d'abus de biens sociaux, comme le dernier dirigeant de Khalifa Airways-France, Amine Chachoua, pour abus de biens sociaux, banqueroute, détournement d'actifs, dissimulation de comptabilité et recel de ces infractions, tout comme une femme à l'identité non communiquée. N. R.