M. Benbitour propose tout de même des modalités pour la mise en place de son schéma : « L'ouverture de consultations entre les différents partenaires de la transition pour que celle-ci soit inscrite dans le temps, en deux phases, 2004-2005 puis 2005-2009 ». Cinq ans de transition pour un mandat présidentiel de cinq ans au cours duquel « le dialogue et les débats à travers la société se feront sur des bases objectives et mesurables... testés à mi chemin par des élections communales et législatives ». Comment ces différents partenaires, dont les objectifs et les intérêts sont supposés opposés par définition, pourront-ils se retrouver pour s'entendre sur un déterminant commun ? Comment organiser des élections communales et législatives sans que les textes fondamentaux, Constitution, loi sur les partis, loi électorale, loi sur le découpage électoral soient réformés fondamentalement ? Et quel sera le rôle dévolu au Parlement pendant cette période de transition ? L'auteur de ces propositions fait l'impasse sur toutes ces questions, d'autant qu'un au moins de ces partenaires a déjà déclaré qu'il ne faisait plus de politique. M. Benbitour propose une démarche pour le changement d'un système politique inauguré dès les années 1980, se reproduisant sous forme parthénogénétique, incarné dans les institutions et les élites politiques de décision. En admettant que M. Benbitour conforte son raisonnement sur une arrière-pensée qu'il ne dévoile pas, à savoir un appel pour que les candidats s'entendent sur son nom, il lui sera difficile de tenir autant de promesses vis-à-vis de mouvances politiques divergeant sur de nombreuses questions, notamment de choix de société. Une transition s'organise après une rupture pour passer d'un système à un autre et non d'un régime ou d'un pouvoir à un autre. Une rupture peut permettre un partenariat ou tout le moins un consensus autour des questions fondamentales d'organisation de l'Etat et de la société. Or, lorsque M. Benbitour parle de pouvoir, il l'assimile au système (interview El Watan, lundi 5 janvier 2004, p.2). Le système politique est une chose et le pouvoir politique en est l'émanation. Le système politique doit être entendu au sens de processus, structures et institutions par lesquels la vie politique est organisée, maintenue, symbolisée et légitimée. Le régime politique, ou formule politique, est entendu au sens de modes de recrutement et de participation à la vie publique, de processus de décision conduisant à des choix déterminés, et la légitimation de ceux-ci et son économie politique, en fait les relations que la formule politique entretient avec la « structure sociale ». On ne peut demander, sauf à s'encombrer d'une utopie mal construite, à un régime politique détenteur de tous les pouvoirs, de le partager avec d'autres acteurs et faire en sorte de ne plus l'exercer ! Aït Ahmed et le FFS proposaient également une période de transition de quelques mois jusqu'à décembre 2004 pendant laquelle sera élue une assemblée nationale constituante dont les résultats seront garantis par des observateurs internationaux. Plusieurs questions restent sans réponses : comment organiser des élections crédibles en si peu de temps ? Qui gérera le pays pendant cette période ? Quel sera le rôle dévolu à cette assemblée ? Est-ce que la loi électorale actuelle sera appliquée pour ces élections ? Est-ce que cette assemblée nouvellement élue sera compétente et légitime pour envisager une nouvelle organisation de l'Etat ? Enfin, si l'on se réfère à l'intitulé de cette assemblée, elle ne sera chargée que de l'élaboration d'une Constitution. Comment peut-on s'insérer dans un système politique qu'on rejette et demander à son pouvoir d'organiser des élections qu'il contrôlera nécessairement ? Nous voyons bien que la proposition du FFS et de Aït Ahmed pêche par de nombreux aspects pratiques et politiques et que dans sa formulation elle manque d'explications et ne peut donc être recevable malgré son honnêteté intellectuelle. L'Afghanistan et certains pays africains ont des dirigeants fantoches, c'est-à-dire où le pouvoir central est exercé par des hommes politiques installés par des puissances étrangères et donc dépendants. Ces pays sont les otages de chefs de guerre qui se partagent l'espace. Les armes sont la loi. De la même manière, mais différemment, l'Algérie a un pouvoir central qui n'exerce qu'un seul pouvoir : l'interdiction des manifestations politiques et syndicales et l'état d'urgence. A l'atteinte du pouvoir d'achat des travailleurs, le ministre du Commerce admet qu'il ne peut rien faire contre la spéculation, car c'est la loi du marché et que son seul pouvoir de régulation est d'importer pour casser les prix. Au lieu de remettre en cause les circuits de distribution et réfléchir à les réformer, il reconnaît le pouvoir des spéculateurs. Les textes d'application d'une loi généralisant l'usage du chèque pour les transactions commerciales sont reportés sans aucune explication. On comprend que ceux, opposés à cette pratique universelle permettant de contrôler les transactions commerciales, ont amené l'Etat à se rétracter et on comprend qu'il est quelque part compromis. La corruption est généralisée et il n'y a pas une banque – publique ou privée – qui ne soit concernée par un scandale financier. L'ensemble de la sphère économique est gangrené. L'Algérie est arrivée à un stade tellement avancé de corruption que les institutions politiques sont atteintes elles aussi par le mal. Le commerce informel et l'importation encouragée ont généré des fortunes colossales, au détriment de la production, que ces détenteurs de milliards veulent aujourd'hui, après avoir corrompu les élites politiques, contrôler eux-mêmes les institutions politiques, le législatif notamment pour être sûrs de mieux se protéger. Ils achètent chèrement leur inscription, en position d'éligibles, sur les listes électorales des partis. Le chef du gouvernement reconnaît cette pratique et admet qu'il ne peut s'opposer à cette nouvelle démarche. Cette « nouveauté » est le stade suprême du délitement de l'Etat, le danger majeur de ce qui reste de la République car nous allons bientôt être gouvernés par des chefs de guerre qui au lieu de s'imposer par les armes, le feront par l'argent. (L'affaire Khalifa l'a montré récemment). Bientôt, pour paraphraser B. Brecht, les chefs de bande vont parader dans les villes en se prenant pour des hommes d'Etat. La transition économique, ou plutôt la « transformation », a précédé la transition politique. Elle a pris naissance dans les années 1980 avec l'abrogation de la loi sur le monopole extérieur. La transition politique a pris date avec la Constitution du 23 février 1989 autorisant les associations à caractère politique, le pluralisme, et tous les acteurs politiques ont applaudi à la démocratisation du régime politique, ignorant que le plus important, à savoir le système politique, allait continuer à fonctionner et se reproduire sans transformation. La première faiblesse de cette dénomination est qu'elle ne saurait en aucun cas signifier que les passages à la démocratie se réalisent au moyen ou par le biais d'institutions ou de procédures elles-mêmes démocratiques, ni même que leurs acteurs adhèrent nécessairement à des valeurs ou croyances qui peuvent être dites démocratiques. La seconde faiblesse est que l'insurrection – octobre 1988 a bien été une insurrection – intervenant après l'échec de la répression ne débouche pas nécessairement sur une démocratie autoentretenue, la violence étant toujours nuisible pour l'avènement d'un système démocratique stable. Ce qui a abouti à la réussite des transitions dans les pays d'Amérique du Sud à partir des années 1974 et de l'Europe centrale et orientale après 1989, c'est la simultanéité des transitions politique et économique. La question de la transition en Algérie est posée et ne peut être ignorée sous réserve du délitement définitif de l'Etat et de la disparition de toutes les valeurs portées par les rêves de ceux qui ont fait l'Algérie et non ceux qui ne pensent qu'à la traire avec la complicité de l'extérieur. Cette question ne peut trouver sa réponse qu'auprès des gens conscients.