Un magicien, une fée et un géant. L'histoire merveilleuse de Khadda, Baya et Issiakhem que le mois de mai ramène à nos mémoires. Il y a 16 ans, le 4 mai 1991, Mohamed Khadda, né en 1930 à Mostaganem, nous quittait, laissant une œuvre décisive pour la peinture algérienne et assurément singulière dans l'art universel. Typographe de métier, des pulsions irrépressibles le poussent à dessiner et à peindre au fond de l'imprimerie où il travaille. Au début des années 1950, il se rend à Paris, pour y travailler, mais surtout pour apprendre plus encore de l'art dans cette ville où la peinture du monde se croise et s'entrecroise. Il y découvre notamment le mouvement de l'abstraction lyrique dont la démarche moderne et subtile le fascine, mais ne l'empêche pas de développer sa propre expression. L'amour des lettres acquis dans son métier se mêle à l'évocation des oliviers tortueux de son enfance. Racines et branches lui paraissent une calligraphie et, de la sève de cette inspiration, va jaillir une création où l'ordre naturel et l'ordre alphabétique vont se confondre. Ce cheminement va le mener loin dans la formulation de son art. Puisant dans le patrimoine les écritures, il va les réinterpréter dans une peinture non-figurative et devenir ainsi un des pionniers émérites de l'art moderne algérien. Cet apport sera doublé dans ce cas d'un travail de réflexion qui l'amène à écrire. En 1971, paraît son essai Eléments pour un art nouveau et, en 1983, Feuillets épars liés recueil de textes qui avait accompagné son évolution. Il est ainsi l'un des rares sinon le seul peintre algérien à avoir contribué à la compréhension de sa démarche et de sa vision. « Il a fallu que Khadda fut un magicien », écrivait Mohamed Dib, admiratif de son talent et de son effort ininterrompu à se dépasser, à affronter et acquérir de nouvelles connaissances que la vie ne lui avait pas offertes. Semblablement, Baya Mahieddine n'avait pas été gâtée. Orpheline, son sort devait être celui d'une Cosette néo-mauresque. Mais la chance sans doute mais surtout son incroyable capacité à créer des univers par les couleurs, l'amènent en 1947, il y a donc 60 ans, à exposer, à peine nubile, à la galerie Maeght de Paris, l'une des plus prestigieuses au monde. Sa féerie, facilement cataloguée dans l'art brut ou naïf, révèle en fait une certaine modernité rattachée à son onirisme personnel, obsédé de jardins et de personnages de contes. Les Mille et Une Nuits revues par une adolescente algérienne en de sombres années et traitées par des à-plats aux couleurs éclatantes, une déstructuration des plans et des volumes, un graphisme qui détonne sur les fonds souvent blancs. Le Musée national des beaux arts, décidément en verve, lui consacre à partir du 23 mai une exposition à ne rater sous aucun prétexte futile et même utile. Près de 80 œuvres de toutes ses époques créatives, récapitulant sa « légende personnelle » pour reprendre Paolo Cauhlo. Issiakhem, pour sa part, nous revient par l'édition avec un beau livre « Issaikhem, la foudre et la pluie » (ed. Casbah) par lequel Benamar Mediene livre une biographie complète de l'artiste et une analyse artistique de son oeuvre à partir d'une centaine d'oeuvres. Khadda, comme Baya et Issiakhem continuent, en effet, à apparaître comme des références sinon des icônes de la peinture algérienne qu'ils ont contribué à forger à partir d'une appropriation de démarches et de techniques nouvelles en leur temps et d'une inspiration puisée aux sources du patrimoine.