La guerre en Irak n'avait pas besoin de ce nouvel élément à l'allure de scandale qu'est la disparition de dizaines de tonnes d'explosifs révélée d'abord par les médias américains et ensuite par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Comment et qui ?, se demande-t-on déjà, tandis que l'Administration américaine, qui n'exclut toujours pas une possibilité d'attentats aussi bien sur le sol américain que là où se trouvent les intérêts des Etats-Unis, c'est-à-dire partout dans le monde, croit avoir la réponse à une ultime question, celle de savoir pour quel usage. C'est pourquoi elle a chargé ses experts d'enquêter sur la disparition en Irak de près de 400 t d'explosifs conventionnels pouvant servir à des méga-attentats. A une semaine de la présidentielle du 2 novembre, le président sortant George W. Bush, dont la campagne est axée sur son bilan en matière de lutte antiterroriste, était sur la défensive après l'annonce de cette disparition sur le site ultra sensible d'Al Qaâqa, à 50 km au sud de Baghdad et supposé être surveillé par les troupes de la coalition. Le porte-parole adjoint du département d'Etat, Adam Ereli, a indiqué que le Pentagone avait demandé à la Force multinationale et aux experts américains sur les armements irakiens d'enquêter sur « les circonstances possibles de la disparition ». Mais il a tenu à préciser que ces explosifs ne représentaient qu'une faible quantité des volumes détruits ou sécurisés en Irak. Le gouvernement américain a été notifié de leur disparition par l'Agence internationale de l'énergie atomique et M. Bush a été mis au courant il y a une dizaine de jours. M. Ereli a souligné que les forces américaines avaient fait tout ce qu'elles avaient pu pour trouver et sécuriser les nombreuses caches d'armes en Irak mais qu'il « n'était pas possible de fournir une sécurité à 100% sur 100% des sites ». Selon le New York Times, ces explosifs ont disparu dans les semaines ayant suivi la chute de Baghdad aux mains des troupes américaines en avril 2003 et sont « susceptibles d'être utilisés pour détruire des immeubles, armer des têtes de missiles et détoner des armes nucléaires ». Le directeur général de cette institution, Mohamed El Baradei, en a également informé lundi par lettre le Conseil de sécurité des Nations unies. Dans cette lettre, M. El Baradei indique que l'AIEA a elle-même été informée, le 10 octobre dernier, par le ministère irakien de la Science et de la Technologie « de la perte, après le 9 avril 2003, du fait de vol et de pillage des installations gouvernementales en raison du manque de sécurité, d'explosifs très puissants (...) qui avaient été l'objet de la surveillance de l'AIEA ». Il s'agit, précise la lettre, « de 195 t d'HMX, qui étaient sous scellés de l'AIEA, de 141 t de RDX et de 6 t de PETN, dont les niveaux des stocks faisaient l'objet de la surveillance de l'AIEA ». La présence de ces quantités (sur le site) avait été vérifiée en janvier 2003. La Maison-Blanche, qui avait fait de la détention d'armes de destruction massive par l'Irak de Saddam Hussein l'un des motifs principaux de la guerre contre l'Irak, a tenté de minimiser l'ampleur de l'affaire. Un porte-parole du Pentagone a souligné pour sa part qu'il n'était pas établi si ces explosifs avaient disparu alors qu'ils étaient déjà placés sous la surveillance des troupes américaines. « Il se peut très bien, et c'est certainement plausible, que c'est le régime de Saddam Hussein qui en a eu en dernier le contrôle », a affirmé le porte-parole du Pentagone, Larry DiRita. L'équipe du candidat et rival démocrate John Kerry a interpellé M. Bush en parlant d'une « erreur » potentiellement « grave et catastrophique ». « L'incroyable aveuglement, fermeture d'esprit et arrogance de cette Administration pour faire le minimum a permis à ce Président de rater une fois de plus le test de commandant en chef », a déclaré John Kerry. « Après avoir été averti des dangers que représentaient ces importants stocks d'explosifs en Irak, ce Président n'a pas réussi à les faire garder », a-t-il dit, soulignant « l'incroyable incompétence de ce Président et de cette Administration ». Il est vrai que cette affaire ne manque pas d'importance, mais aux yeux des Irakiens, elle n'en a pas suffisamment pour leur faire oublier ce qu'ils endurent depuis dix-huit mois. C'est-à-dire, la guerre et ses affres qui ont entraîné la destruction de leur pays menacé de démembrement et d'occupation constante.