La richesse halieutique nationale est en train de fondre comme neige au soleil, au large de Mostaganem. Estimée gratuitement par une expertise espagnole à plus de 75 000 tonnes de réserves disponibles, ce qui en faisait de la région la plus poissonneuse de la côte algérienne, cette richesse est en train de partir en lambeaux avec la bénédiction des autorités algériennes et sous l'œil attristé de nos marins pécheurs et autres armateurs. Les professionnels qui nous ont contacté par l'intermédiaire du président de la chambre de la pêche et de l'aquaculture, lui-même armateur, n'y sont pas allés avec le dos de la cuillère. Ce n'est pas qu'un cri d'alarme mais un cri du cœur. Une douleur longtemps retenue qui aura fini par créer un énorme et insupportable malaise dans la corporation. Pêle-mêle, nos interlocuteurs remettent en cause la nature et l'existence même du partenariat algéro-espagnol, entamé dès 1997 et qui autorise les puissants et envahissants bateaux de pêches ibériques à venir se servir sans vergogne, sans limites et sans aucun contrôle. Moyennant une modique redevance annuelle de l'ordre de 50 millions de centimes, ces armateurs prédateurs s'autorisent toutes les extravagances. Au large, là où jadis la crevette royale se donnait à pêcher avec nonchalance, des incursions de mastodontes de plus de 50 mètres de longs, équipés de plus de 1 000 chevaux, capables de semer sans ménagement les vedettes des nos gardes côtes, nos frêles chalutiers sont souvent obligés- au péril de leur vie- de céder la place à ces pirates d'un nouveau genre. Un navire comme « El Ousfour » peut se donner à cœur joie en raclant sans discontinuer tous les fonds à la recherche de la moindre ombre de crevette. Effectuant des marées interrompues de 15 à 20 jours, utilisant des filets à chaînes qui sont de véritable charrues à socs, labourant le fond qu'ils soulèvent sur des profondeurs de 15 à 20 cm, ces engins destructeurs ne laissent rien sur leur passage. Ni la vase, ni le sable, ni même la roche qui n'échappera pas à leur redoutable puissance. Pour quelques crevettes, ils n'hésitent pas à détruire les alevins et même les œufs. Ni la faune, ni la flore ne seront épargnées. Il est vrai qu'au départ, lorsque le partenariat avait été envisagé, tout le monde politique s'entêtait à vanter les délices de nos poissons. Tous les responsables du secteur n'hésitaient pas et continuent encore de nos jours à parler du poisson qui meure de vieillesse. Plusieurs solutions seront proposées par des responsables fraîchement débarqués dans un secteur où rares sont ceux qui savent réellement ce que cette activité requiert comme savoir-faire. A la limite, il nous était demandé de solliciter l'aide de l'Europe pour nous débarrasser de nos vieilles crevettes qui encombraient nos fonds marins et qui, de toutes façons ne nous étaient pas accessibles. Nouvel Eldorado C'était le nouvel Eldorado à seulement 30 miles de Salamandre ou de l'embouchure du Chéliff. Après 10 années de brouillard et de rapine, il s'avère que ni les prises, ni les bons prix ne seront au rendez-vous. Pourtant, durant les années 80, un chalutier local, avec un équipage d'autochtone et des équipements rudimentaires parvenait à ramener dans ses cales, après une seule nuit de chalutage, pas moins de 20 caisses de crevettes, dont 1/3 de premier choix. Le mode de rémunération passera à une cadence bihebdomadaire alors qu'auparavant c'est toutes les fins de semaines que la répartition des recettes s'effectuait. Un armateur soutiendra que les recettes de la première semaine sont désormais consacrées à payer les dépenses de gasoil. La crevette rouge qui, jusqu'à la fin des années 70, faisait la fierté des côtes mostaganémoises, va être victime de sa célébrité. En effet, les principaux pays consommateurs, dont l'Espagne toute proche, finiront par s'y intéresser de très près. A l'époque, ce crustacé s'écoulait sur les marchés nationaux depuis Oran jusqu'à Alger, à des prix qui n'excédaient qu'exceptionnellement les 50 DA. Au marché couvert de Mostaganem, elle se vendait entre 25 et 40 DA. Avec l'arrivée de puissants chalutiers, il était admis qu'une partie des prises était cédée en haute mer, aux Espagnols. Mais, depuis l'entrée en vigueur du partenariat, à la faveur de l'ouverture économique, celui qui possédait un gros bateau pouvait légalement venir s'installer sous le pavillon national et pêcher à satiété cette richesse que des expertises gratuites mais non désintéressées avaient qualifiées de fabuleuses. Le dispositif de contrôle était théoriquement apte à faire un suivi et une évaluation de l'état des réserves. Si ces évaluations ont été effectuées, il serait intéressant qu'elles soient enfin rendues publiques. Ce qui permettrait à tout citoyen d'être informé sur l'évolution de la situation. En l'absence de toute communication- nos tentatives d'accéder à la fameuse expertise espagnole auprès de la direction de la Pêche de Mostaganem nous ont valu une réponse en forme de dérobade-, ce sont les données recueillies auprès des différents opérateurs qui restent la seule référence. Les armateurs qui nous ont contactés afin de tirer la sonnette d'alarme appuient leur argumentaire par la baisse drastique des prises. Ils rappellent toutefois que les conclusions de l'étude espagnole avaient fixées le stock à 75 000 tonnes de réserves. Questionné à ce sujet, le directeur de la Pêche soulignera qu'en réalité les quantités disponibles pour la pêche n'étaient que de 25 000 tonnes /an. Même les espèces pélagiques semblent marquer le pas. Face au désarroi de la profession, la question lancinante qui nécessite toutes les clarifications est de savoir où sont passées les énormes réserves que tous les responsables n'ont cessé de claironner ? Ont–elles jamais existé ? Si c'est le cas, il faudra alors expliquer ce qu'elles sont devenues.