Après sa première escale d'un long voyage qui va la mener vers 12 Etats africains, la délégation du commandement militaire des forces US (Africom), dirigée par Ryan Henry, sous-secrétaire adjoint principal à la Défense chargé des Affaires politiques, a été très discrète sur le périple qui l'attend et ses vraies motivations. Lors de la conférence de presse animée hier au siège de l'ambassade des Etats-Unis à Alger, Ryan Henry tenu à expliquer qu'Africom n'est actuellement qu'au « stade de la réflexion et ne sera effectif en tant que tel que vers la fin 2008 ». A la tête d'une délégation d'une douzaine de cadres du département d'Etat, chargés notamment des affaires politiques et militaires tels Mme Teresa Whelan, sous-secrétaire adjoint à la Défense, Robert G. Loftis, et d'un représentant de l'Agence américaine de développement (Usaid), Ryan Henry a noté qu'« il ne s'agit pas de base militaire, d'avions, de bateaux ou de flotte armée, mais d'une équipe pluridisciplinaire à plus de 25% civile, avec des représentants de l'Usaid, et dont le n° 2 sera sera un responsable du rang d'ambassadeur. Cette structure ne sera pas basée dans un seul pays mais répartie à travers de nombreux Etats. Ses responsables travailleront par la suite en réseau ». Ce qui constitue, a-t-il déclaré, « une nouveauté en matière de conception ». Il a expliqué que la démarche du département d'Etat « n'est pas de s'impliquer directement », mais de travailler « en arrière-plan pour servir d'appui aux efforts sécuritaires des pays africains et les institutions de l'Union africaine, aux communautés économiques régionales et les branches de sécurité de ces institutions ainsi qu'aux forces d'attente africaines ». Eviter l'installation de sanctuaires terroristes en Afrique Le conférencier a estimé que les USA peuvent apporter leur contribution dans la « résolution des problèmes que peuvent affronter les pays de la région », en reconnaissant, toutefois, que les solutions ne peuvent provenir que des leaders locaux. « Il n'y aura pas de nouvelles bases en Afrique ni de troupes US, mais plutôt quelques exercices d'Américains qui s'inscrivent dans le cadre de la coopération et de la coordination avec les pays concernés. » Le chef de la délégation a déclaré, par ailleurs, que ce commandement sera différent des autres commandements des forces US et n'est pas spécialisé pour mener une guerre. « Sa mission première est de travailler avec les pays africains afin de leur permettre de renforcer leurs capacités à résoudre leurs problèmes et à relever certains défis. Nous les aiderons à prendre des mesures par anticipation pour éviter que des problèmes deviennent des crises, que des crises se transforment en conflits, ou que des conflits engendrent des guerres. Il est question d'aider les Africains à mettre en place un environnement sécurisé afin d'éviter une intervention militaire US dans les 50 années à venir... » Sur les types d'intervention, le conférencier a indiqué qu'il s'agit d'apporter une expertise en matière de sécurité et de participer avec les partenaires africains à des exercices sécuritaires, pour assurer une sécurité maritime et frontalière, participer à l'aide humanitaire en cas de catastrophe naturelle et apporter aide et assistance en matière de lutte contre les pandémies. « Bref, aider les forces armées locales à renforcer leurs capacités par la formation et la coopération », a soutenu Ryan Henry. Pour ce qui est du choix d'Alger comme première escale de ce périple, le chef de la délégation de Africom a estimé que chaque pays a ses spécificités et un rôle à jouer. « L'Algérie a une place privilégiée, eu égard au fait qu'elle héberge l'Institut africain de lutte contre le terrorisme. Pour savoir quel rôle va-t-elle jouer, il faudra savoir si elle veut bien le jouer, ce que nous saurons après les consultations que nous menons actuellement avec les responsables algériens ». Interrogé sur l'objectif de Africom, l'envoyé du département US a noté que ce commandement « va être le chef de file » chargé de trouver des solutions aux problèmes que rencontrent les Etats africains. « Nous sommes à la fin de l'étude de faisabilité, et le processus ne peut être engagé qu'après », a-t-il tenu à ajouter. A une question relative à l'attente d'une décennie de terrorisme pour venir en aide à l'Algérie, le conférencier a affirmé que son pays est sensible à la situation qu'a vécue le pays, expliquant que la démarche s'inscrit dans un espace continental. « Les questions de temps se fondent sur une série d'éléments. Mais les progrès réalisés par l'Afrique ces dernières années et, surtout, le fait que le continent a pu s'entendre sur une feuille de route en matière de sécurité ont fait que les USA ont privilégié l'approche continentale. » M. Ryan a reconnu que l'approche du passé n'est plus permise aujourd'hui du fait que l'Afrique est devenue un continent émergent où l'élément sécuritaire est important, pas seulement lorsqu'il s'agit de conflits armés mais également des menaces transnationales et internes. L'Africom sera là pour aider à l'émergence d'une société civile active, d'une bonne gouvernance, d'une meilleure qualité de vie, d'un Etat de droit, d'un système politique représentatif et d'une économie viable, un ensemble de paramètres qui reposent sur la sécurité. Comment ? « Cela ne peut se faire entre Etats, mais avec toute la région. » Ryan Henry a refusé le terme de fait accompli de son pays concernant la création d'un commandement des forces US en Afrique, en disant : « Nous ne sommes pour l'instant que dans la phase de planification. Nous attendons avant tout des réponses à des questions, lesquelles questions ne sont pas toutes prêtes. Nous voulons avoir l'avis des Africains, leur vision et leur approche. La seule décision déjà prise par le président George Bush est celle de mieux s'organiser pour affronter les problèmes. Il a décidé qu'au lieu d'avoir plusieurs personnes, une seule suffit pour gérer un continent et en faire sa priorité. » Pour ce qui est de ceux qui affirment que ce commandement aura pour objectif inavoué de défendre les réserves pétrolières, le conférencier a affirmé que les auteurs de ces thèses s'obstinent dans leur conviction et refusent d'écouter les Américains. « Lorsqu'on n'écoute pas, on ne peut être convaincu », a-t-il précisé. « IL S'AGIT DE MENACES TRANSNATIONALES » A propos des nouvelles menaces après celle de l'ex-URSS, le conférencier a expliqué qu'il ne s'agit pas de menaces d'un pays contre un autre ni d'une armée contre une autre. « Il s'agit de menaces transnationales qui ne proviennent pas d'un pays donné et qui exigent des démarches différentes des roquettes, des bombardements et des missiles, celles de la construction des écoles et des puits par exemple. Je ne peux dire qu'il n'y aura plus de guerre traditionnelle, mais plutôt de menaces nouvelles qui nécessitent des méthodes de réaction plus développées. » Qu'en sera-t-il si une situation comme celle du Darfour est rééditée ? A cette question, le chef de la délégation US a estimé que ce qui est important, c'est de savoir à partir de quel moment cette crise est déclarée. « Si nous sommes dans une hypothèse du Darfour, nous aiderons les institutions africaines et les pays du continent à renforcer la planification pour mieux comprendre la situation. Il n'y aura pas de troupes US. Mais si on remonte dans le temps, pour remettre les pendules à une époque de crise, avant qu'elle ne se transforme en conflit armé, la gestion sera alors différente, parce qu'il s'agira d'aider les Etats à prévenir les dangers et éviter que la situation ne se transforme en conflit. Les efforts seront consentis avec les pays participants et les forces d'attente africaines pour une intervention avec l'accord préalable des Etats dès la déclaration de la crise et avant même qu'elle ne dégénère. En finalité, nous aidons les Etats à avoir des forces plus robustes, plus résistantes et plus capables en matière d'intervention. Dans les deux cas, il n'y aura pas la participation des forces US. » Il a précisé qu'Africom sera plutôt « une expérience », qui sera à la hauteur des défis du continent. Ryan Henry a estimé qu'il ne peut négliger les problèmes de sécurité que vit la région du Maghreb, en notant que « les solutions ne peuvent venir que des responsables locaux, auxquels nous apporterons notre soutien pour avoir la capacité de neutraliser les groupes terroristes ou éviter qu'ils constituent une menace pour la région, dans la mesure où nous comprenons mieux la menace terroriste transnationale. L'activité essentielle d'Africom en matière de lutte contre le terrorisme est d'éliminer les structures et lieux de refuge et d'éviter qu'ils aient des sanctuaires à partir desquels ils organisent et lancent des opérations terroristes ». A signaler que la délégation d'Africom, arrivée samedi, et qui repart aujourd'hui au Maroc, puis en Libye et 9 autres Etats africains, a été reçue hier par Abdelmalek Guenaïzia, ministre délégué auprès du ministre de la Défense nationale, et Abdelkader Messahel, ministre délégué chargé des Affaires maghrébines et africaines. Jusqu'à présent, la responsabilité de l'Afrique au Pentagone est partagée entre trois commandements régionaux : le commandement central (Centcom), qui supervise le Moyen-Orient, avec une responsabilité sur la corne de l'Afrique, le commandement pour le Pacifique se charge de Madagascar, celui pour l'Europe s'occupe de la plus grande partie de l'Afrique. La décision du Pentagone de se doter d'un commandement spécifique pour l'Afrique, annoncée en début février dernier par le secrétaire à la Défense Robert Gates, reflète l'inquiétude des USA sur l'implantation d'organisations terroristes comme Al Qaïda dans certains pays africains. Officiellement, Washington cherche à empêcher l'Afrique de l'Est de prendre le relais de l'Afghanistan comme base arrière d'Al Qaïda. L'armée américaine est présente depuis plus de quatre ans dans la corne de l'Afrique, où sa seule base sur ce continent est installée à Djibouti et où environ 1700 militaires sont déployés.