Ce mardi débutera, à l'université M'hamed Bouguerra de Boumerdès, le procès le plus attendu de ces quatre dernières années. Pour la première fois dans l'histoire de l'Algérie indépendante, un procès relatif à une catastrophe naturelle se tient suite à une plainte des pouvoirs publics. Trente-huit accusés, entre responsables d'entreprises, ingénieurs, promoteurs devront défiler devant le juge, aux côtés de 45 témoins, durant tout le temps que prendront les audiences. Parmi les accusés, 20 ont déjà été placés sous contrôle judiciaire. Ils viennent de 17 entreprises de construction et d'organismes d'Etat chargés du suivi des constructions. Ils sont poursuivis pour les chefs d'inculpation d'« homicide involontaire, blessures involontaires, fraude dans la quantité et la qualité des matériaux de construction et non-application de la réglementation ». Une source proche du dossier nous a révélé que « tout le monde est convoqué à temps afin de permettre à la justice de triompher ». Mais des voix s'élèvent pour mettre en garde contre une éventuelle « désignation d'un bouc émissaire ». « On a déjà imprimé au procès un caractère populaire en appelant les victimes à se constituer partie civile. Cela va inévitablement peser sur le cours des choses si l'on tient compte de la libertée limitée des magistrats lorsqu'il s'agit de traiter un dossier lourd », fait remarquer un avocat. Les cercles proches de certaines victimes insistent sur la nécessité de rechercher les responsabilités « en amont dans la chaîne de construction ». « On a importé du rond à béton inapproprié, voire radioactif, du ciment de mauvaise qualité et on a même triché sur la quantité en vendant des sacs de 40 kg pour ceux de 50 kg. Des organismes chargés du suivi des projets n'ont pas fait leur travail et il semble qu'ils ne sont pas inquiétés... Tout cela fait craindre qu'on sacrifie certaines parties juste pour sauver la face », ajoute notre interlocuteur. L'affaire du séisme du 21 mai 2003, mise en justice afin de « situer les responsabilités » dans l'effondrement de nombreuses bâtisses suite à cette catastrophe, si elles sont avérées, est sur toutes les langues. En instruction depuis plus de deux ans, après une enquête de la gendarmerie qui aura duré presque une année, cette affaire confronte la « force de la nature » à la « négligence de l'homme ». Le magistrat instructeur avait prononcé un non-lieu suite à des investigations mêlées de mises en examen des inculpés et de l'étude des expertises menées par des laboratoires sur la qualité des matériaux et même de l'exécution des travaux dans tous les cas d'effondrement importants recensés, avant que la chambre d'accusation ne renvoie le dossier pour complément d'examen. « Un non-lieu a été prononcé à trois reprises par l'instruction et la même plainte n'a pas abouti à Alger. Cela pèsera sans doute sur le cours de cette affaire. Nous sommes devant une situation où l'erreur de l'exécutant des travaux de construction est négligeable devant le déchaînement de la nature. D'un autre côté, l'erreur de zonage est plus grave que les rares cas de négligence, de malfaçons dans la construction et autres accusations. C'est suite au zonage qu'on a établi des normes qui se sont avérées déplacées, inappropriées à la région », nous dit un avocat du barreau de Tizi Ouzou duquel dépendent les robes noires exerçant à Boumerdès. Le report du procès se dessine déjà, si l'on considère la menace des avocats de la défense de se retirer si leur exigence d'appeler à la barre les ministres de l'Habitat en exercice pendant la réalisation des projets n'est pas satisfaite. Chose à laquelle la justice ne semble pas prête à répondre favorablement pour l'heure.