Contrairement à ce qu'affirmait le ministre de l'Intérieur, au soir des législatives du 17 mai, la forte abstention (63,49%) n'est pas un signe d'une meilleure prise de conscience politique, encore moins une position qui délivre un quelconque message ciblé aux « partis politiques », mais l'expression criante d'une crise de confiance profonde entre la société et le pouvoir. Une meilleure prise de conscience politique ne se traduisant jamais par l'indifférence, voire l'ignorance du déroulement d'un événement politique majeur comme les législatives ; mais par une mobilisation massive avant et durant le déroulement du scrutin afin de choisir un programme politique démocratique et moderniste et un projet politique en rupture avec le conservatisme et l'islamisme qui ont jusqu'ici drivé le pays à la ruine qui ne cesse de se perpétuer. Plus encore, une telle maturation politique d'un peuple se traduirait par une surveillance systématique et active de l'opération de dépouillement dans chaque bureau de vote à travers le territoire national. Enfin, cela supposera la continuité de la mobilisation dans les rues et les lieux publics durant la nuit et les jours qui suivront la proclamation des premiers résultats donnant les démocrates de l'opposition vainqueurs, et ce, afin de dissuader toute velléité de fraude. Un peuple mûr politiquement, c'est un peuple qui ne laisse personne décider du sort de son choix et qui prend son destin en main. Or, je vois d'ici, certains lecteurs esquisser un petit sourire tant est si bien que ce que je viens de décrire semble à mille lieues de la situation qui prévaut en Algérie et que le ministre de l'Intérieur tente vainement et gauchement de traduire en sa faveur. Celle du pouvoir géniteur d'injustice, de pauvreté et de corruption qu'il incarne. Mimé aussitôt par les partis islamo-conservateurs au pouvoir (FLN, RND, HMS) ainsi que par la multitudes de partis saisonniers ; exhumés après une hibernation qui aura duré une quinzaine d'années, pour certains, et créés in vitro, pour d'autres, le ministre d'Etat et des Collectivités locales ; qui aurait dû se suffire de communiquer les résultats et autres informations inhérentes au déroulement de l'opération de vote, lors de sa conférence de presse tenue à l'hôtel El Aurassi, s'était découvert le don d'analyste politique. Un fait qui traduit à lui seul, si besoin est, la panique qui s'est emparé du pouvoir algérien après une abstention jamais égalée. Ainsi, se faisant le porte-parole du peuple, il conclu son « analyse » par cette calembredaine : « ... Le taux d'abstention signifie leur exigence par rapport aux partis politiques, qui doivent réajuster leur approche pour l'adapter aux évolutions qu'a connues la situation algérienne et aux attentes des Algériens. » Sur une quarantaine de partis politiques, le ministre ne précise pas quels sont les partis concernés par cette mise en demeure du peuple.Le but recherché étant de continuer l'entreprise de diabolisation de l'opposition démocratique aux yeux de l'opinion nationale et du coup, celle-ci deviendra, comme par enchantement, celle qui a les rênes du pouvoir qu'elle aura gérés depuis l'indépendance. La misère du peuple retrouve soudainement un responsable : le multipartisme et la démocratie. Le véritable pouvoir incarné par le FLN, le RND, les islamistes et quelques militaires se retrouve, lui, innocent et vierge. Cette diversion ne convainc personne, mieux, elle met à nu un régime finissant qui ne tient qu'au souffle d'un président sans programme et mourant... et à la corruption à l'origine du taux d'abstention record enregistré au soir du 17 mai. Le sentiment d'incapacité à influer sur le changement de cap de cette Algérie, qui a pris le sens du non-développement depuis 1962, ne signifie pas outre mesure une définitive résolution du peuple à vivoter en tournant le dos à la chose politique, sans laquelle, aucune évolution n'est possible. Pis, ce repli sur soi, traduit par une abstention effrayante, est en fait un véritable volcan dont les éruptions explosives ne sauraient tarder, dont les conséquences sont imprévisibles. Il n'est pas utile d'être un expert pour le comprendre mais il est impossible de comprendre l'aveuglement du pouvoir qui ne cesse de manipuler les explosifs sociaux pour assurer sa propre pérennité. Les abstentionnistes ne se sentent guère concernés, ni par les élections auxquelles ils ne croient plus, ni même par l'option de boycott à laquelle avaient appelé plusieurs courants (FFS, islamistes radicaux dont Djaballah, terroristes, etc.). A la question « allez-vous voter ? » de certains journalistes sortis dans la rue, à la veille du scrutin, histoire de prendre la température ambiante avant le jour J, la majorité des citoyens répondaient par cette réponse qui en dit long sur ce divorce consommé entre gouvernants et gouvernés : « Voter ! Pour quoi ? », avant d'ajouter, l'air moqueur : « Ces élections, comme toutes les autres d'ailleurs qui les ont précédées, n'auront aucun effet sur notre misère quotidienne... et puis, hormis quelques régions du centre où le pouvoir n'aura pas les coudées franches pour frauder massivement du fait d'une longue tradition politique ancrée dans cette région, c'est ailleurs que tout se décidera à coup de bourrage des urnes et de manipulations des résultats pour donner les soutiens de Bouteflika (FLN, RND, HMS, PT) vainqueurs de ces joutes. » Cela se disait dans la rue à la veille du 17 mai. Le soir du même jour, ce pronostic percutant se confirmera tout naturellement. La rupture n'aura pas lieu, le citoyen ne voit d'intérêt dans le statu quo. En effet, il y'a lieu de signaler quelques prémices de cette énième fraude en commençant par l'exigence faite par les autorités aux partis politiques, il y'a quelques mois, de la tenue de leur congrès conformément à la loi afin de pouvoir prendre part aux législatives du 17 mai. Dans la foulée, plusieurs partis saisonniers s'y sont précipités pour tenir non pas des congrès mais des conglomérats de quelques dizaines de personnes venues beaucoup plus partager des banquets que porter des amendements ou autres à des statuts ou à des programmes politiques inexistants ! D'autres, non agréés et pris de panique de ne pouvoir trouver un cadre partisan qui leur permettra de postuler à une mandature synonyme de privilèges divers, d'une mensualité qui en fait rêver plus d'un et d'un business fécond, se sont offert l'un de ces sigles disparus depuis belle lurette. Les listes indépendantes, quant à elles, sont anecdotiques à ce propos. Elles sont plus d'une centaine à l'échelle nationale, chacune d'elles est indépendante de l'autre. Dans ce cadre, la loi exige en principe que chaque liste ait pu récolter le nombre de signatures requis afin de justifier leur ancrage populaire dans leur circonscription. Au sein d'une population désabusée, qui se montre indifférente à une campagne électorale et à des élections majeures (dans une démocratie qui se respecte), il est tout de même étonnant qu'autant de signatures aient pu être récoltées par une centaine de listes "d'indépendants" qui se verront attribuer, au terme de la mascarade du 17 mai, la qualité de la quatrième force politique dans le pays ! Certains élus " indépendants " ne se sont même pas embarrassés de scrupules pour déclarer leur ralliement au FLN avant même l'investiture officielle de la nouvelle chambre basse. Arriva enfin la campagne qui s'est déroulée dans une atmosphère qui frise l'indifférence, n'étaient-ce les affiches et autres listes des candidats placardées à travers les murs des villes. En effet, et en dehors de quelques wilayas du centre du pays, hormis quelques sorties des partis traditionnels qui peuvent être qualifiées de meetings populaires au vu du nombre de citoyens mobilisés ; souvent des militants, la quasi-totalité des postulants n'avaient marqué cette campagne que par une à deux sorties où les membres des familles des candidats de la même liste se bousculent dans l'espace exigu réservé à cet effet. Là aussi, c'est vrai qu'au delà de la confusion réelle de l'électeur qui se retrouvera, le jour du vote, devant une trentaine de bulletins de vote identiques en apparence, les principaux parrains de ces listes ne viseraient vraisemblablement rien d'autre que les subventions prévues par la loi en guise, soi-disant, de couverture des frais de campagne ! Au centre du pays, plus précisément en Kabylie, le topo est tout autre puisque la scène régionale n'est plus ce qu'elle a été avant et tout pronostic dans cette situation était un saut dans l'inconnu.Désabusée et désenchantée plus qu'ailleurs du fait des conséquences directes de l'émergence, en 2001, du mouvement des archs qui, déviant de sa ligne, était allé s'attaquer aux partis les mieux implantés dans la région (RCD-FFS) au moment où il découvrait des vertus à un pouvoir responsable de tous ses maux. La gestion carriériste, révélée sous la lanterne des ambitions personnelles et électoralistes des uns et des autres (on commence à murmurer ça et là que certains acteurs de ce mouvement seraient pressentis dans le tiers présidentiel au sénat algérien) qui s'est faite sur le dos des victimes et de la population qui avait consenti à tout donner d'elle-même, a fini par avoir raison de ce qui n'aurait jamais dû être touché : la confiance de la population en elle-même. C'est dans cet état d'esprit, aggravé par l'offensive islamiste de ces dernières années où son prosélytisme n'a pas été seulement l'œuvre des fous de Dieu mais soutenu d'une manière évidente par le pouvoir à travers le ministère des affaires religieuses qui subventionnent des campagnes dans ce sens, des bibliothèques coraniques qui ouvrent dans les villages les plus reculés de la Kabylie... parallèlement à l'action des fanatiques qui mobilisent quelques éléments à coups de liasses pour gérer des constructions de mosquées clandestines, donc illégales, sur le territoire des communes que gèrent souvent le FLN, le RND et, comble de la dépravation, dans certaines municipalités que gère le ... FFS (ex commune d'Aït-Bouaddou) sans que ces magistrats communaux ne daignent mettre un terme à cet aventurisme. Conséquence de ces complicités ou de ces lâchetés, au village du 1er secrétaire national actuel du FFS, c'est le parti intégriste HMS qui arrive en tête des suffrages exprimés lors des législatives de ce 17 mai. Le discours proislamiste (pacte de Rome) des années 1990 avait préparé le lit à l'islamisme social, principalement dans ceux qui étaient les fiefs du parti d'Aït-Ahmed. Ce terrain prêt à être exploité à la faveur de la démission morale de la citoyenneté est vite pris d'assaut par les islamistes et les conservateurs du pouvoir qui ont jeté tout leur poids dans ces élections afin de tenter d'isoler le seul parti d'opposition en lice dans la région, le RCD en l'occurrence, dans ses derniers retranchements au moment où le FFS fait face à une énième crise interne qui l'aura empêché de prendre part à ces joutes qu'il a fini par boycotter sans pouvoir mener la moindre campagne digne de ce nom dans ce sens, hormis un petit meeting tenu à la veille du scrutin, non pas dans la capitale, ni dans une grande ville de la Kabylie ou d'ailleurs, mais,... à Tizi N'tléta, c'est-à-dire, à quelques mètres du domicile de l'actuel 1er secrétaire du FFS ! Un boycott qui, n'offrant guère de perspectives, s'est révélé d'une grande utilité pour la fraude de l'administration comme c'est le cas à Béjaïa où, à titre d'exemple, trois maires qui étaient battus se présenteront le lendemain du scrutin « élus » par le bourrage nocturne des urnes… au niveau des municipalités qu'ils gèrent ! Dans le département de Tizi Ouzou, le suffrage exprimé donne le RCD vainqueur avec 7 sièges sur les 14 en jeu ; le même nombre de sièges obtenu aux législatives de 1997 quand les sept autres sièges étaient arrachés par le FFS ! Le 17 mai dernier, le FLN et le RND se sont partagés les 7 sièges restants. Cette volonté de confiner dans une sphère régionale l'opposition démocratique à travers la tentative d'isolement du RCD, s'est manifestée d'une manière scandaleuse à Tiaret et surtout à Illizi. Dans la première circonscription, les candidats du RCD qui ont tenté de superviser dans certains bureaux de vote l'opération de dépouillement, ont tout simplement subi des menaces avec des armes à feu ! Dans la circonscription d'Illizi, le RCD vient d'arracher miraculeusement un siège grâce… à la solidarité des tribus touareg avec le candidat du parti du Dr SADI, dont l'impressionnante mobilisation a réduit considérablement la tentative de fraude qui s'annonçait. Sur le plan national, le même parti d'opposition (RCD) qui, rappelons-le, avait « gagné » 19 sièges lors des premières législatives pluralistes de 1997, s'est vu, cette année encore, attribuer le même nombre de sièges (19) ! Le RCD semble en effet condamné à perpétuité à un groupe de 19 députés. L'article 119 de la Constitution explique-t-il cela ? Ce texte stipule, en effet : « L'initiative des lois appartient concurremment au chef du gouvernement et aux députés. Les propositions de lois, pour être recevables, sont déposées par 20 députés. » Concernant le parti islamiste HMS (ex Hamas) qui a cru fermement en ses chances d'arracher enfin un siège (*) au boulevard Zighout Youcef, dans des conditions, citées plus haut, plus que favorables à son émergence pour la première fois dans cette région, de tout temps imperméable à l'idéologie obscurantiste de l'islamisme, vient de recevoir une gifle définitive, synonyme d'une incapacité à se frayer un petit coin au pieds de l'antique Montus Ferratus. Sur le plan national, aussi bien l'abstention majoritaire que la participation, tout confirme en effet le rejet sans équivoque de l'Islam politique par les Algériens. Les conditions d'un véritable sursaut démocratique sont plus que jamais réunies. L'Algérie peut, à présent qu'elle a réduit considérablement le péril d'une iranisation, s'offrir une orientation résolument républicaine, laïque et moderniste synonyme de développement et d'épanouissement. Devant un régime sclérosé, l'opposition démocratique et républicaine et les forces sociales ont l'exigence historique d'aider ce pouvoir finissant à partir. (*) En Kabylie et depuis l'avènement du multipartisme, les partis islamistes n'ont jamais gagné le moindre siège à tous les niveaux des institutions élues (Assemblée communale « APC », Assemblée départementale « APW », Assemblée nationale « APN » ). Exception faite aux deux communes de Sidi Naâmane et de Draâ el Mizan, offertes au FIS par le boycott du FFS en 1990 qui y était très fortement implanté. Après 1992, ces deux communes deviendront de véritables zones de repli et de préparation des actions terroristes que mèneront les islamistes en Kabylie et ailleurs.