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Dr Boualem Kechacha. Psychologue de la direction générale de la Sûreté nationale
« Nous avons désamorcé des situations catastrophiques »
Publié dans El Watan le 08 - 07 - 2007

La lutte antiterroriste et les attentats ayant ciblé les policiers durant les années 1990 ont laissé des séquelles profondes dans les rangs de la Sûreté nationale. Comment évaluez-vous la situation ?
Comme la majorité des citoyens, le policier a été confronté au terrorisme et de ce fait, les séquelles sont imparables. Nous ne pouvons pas quantifier la situation. Mais nous sommes certains que les éléments qui étaient en avant-poste durant des années ont subi des dommages collatéraux. C'est pour cela que le directeur général de la Sûreté nationale, Ali Tounsi, a fait appel à un psychologue clinicien pour monter une cellule de dépistage de ces cas de traumatisme pour procéder à leur prise en charge psychologique. En dix ans, cette équipe a réussi à désamorcer des situations catastrophiques. Pour les suicides, que nous ne considérons pas liés au phénomène du terrorisme, nous sommes passés de 17 cas en 2005 à 4 cas en 2006. En 2005, lorsque le nouveau dispositif de dépistage de cas de victimes de traumatisme a été finalisé au niveau national, nous avons enregistré 493 policiers nécessitant une prise en charge, et en 2006, nous en avons recensés 128. Ces agents ont été directement confrontés à la lutte antiterroriste. Ils ont exercé au plus fort des années de cette lutte. C'est-à-dire entre 1991 et 1996. Nous ne pouvons déceler tous les cas, en quelques années, surtout que nous sommes confrontés au problème de mobilité de ces agents. Il est quasiment impossible de mettre derrière chaque policier un psychologue. Ce sont les psychologues eux-mêmes, qui se déplacent pour aller à leur recherche. Ils les encouragent à extérioriser leur traumatisme. Au début, ils refusent de s'exprimer, mais finissent toujours par faire état de leur souffrance, surtout quand ils se rendent compte que le psychologue est un policier, et non pas quelqu'un venu d'un des hôpitaux, et qui risque de divulguer leur secret.
N'ont-ils pas peur de perdre leur travail en exorcisant le mal qui les ronge ?
Il est vrai que de nombreux policiers appréhendent le fait d'être retirés du terrain. Mais, au fond, ils savent que leur santé passe avant le travail. Il suffit de les sensibiliser sur cela. De plus, il n'est pas évident qu'ils soient éloignés de leur activité. S'ils sont rétablis, ils peuvent reprendre leur poste, pour peu qu'ils le demandent.
Avez-vous pu déceler tous les cas de traumatisme dans les rangs de la police ?
Les cas que nous avons recensés restent très relatifs. Nous ne pouvons pas dépister tous les cas. Nous savons qu'il doit y avoir des agents qui travaillent normalement, mais qui au fond souffrent terriblement. Eux-mêmes peut-être ne savent pas qu'ils sont en danger. Mais nous faisons tout pour pouvoir arriver à les déceler. C'est le minimum que nous puissions faire pour eux, eu égard au sacrifice qu'ils ont consenti pour que les Algériens puissent vivre en toute sécurité. Ces agents cherchent une reconnaissance de leur statut de victime dans une situation où ils occupaient la place du défenseur et non pas de l'assaillant. Ils méritent toute l'attention et tous les droits qui s'imposent devant leur sacrifice. Il est néanmoins regrettable que la sécurité sociale ne les reconnaît pas en tant que victimes du terrorisme, et nous sommes à chaque fois dans l'obligation de contourner la réglementation pour qu'ils puissent être pris en charge. Il est important que cette catégorie, la plus nombreuse par rapport aux victimes physiques, soit intégrée dans la nomenclature des assurés sociaux.
Y a-t-il eu des cas de policiers qui sollicitent une prise en charge de façon volontaire ?
Pas beaucoup, au début, mais il y en a eu. Il faut savoir que 80% des policiers viennent de l'intérieur du pays. La seule chose à laquelle ils aspirent, c'est de rentrer chez eux, après des années de carrière. De ce fait, quand ils se sentent mal ou un peu déprimés, ils prennent attache avec la cellule de suivi psychologique de leur wilaya. Il y a eu ceux qui se sont sentis mal et ont préféré faire appel à la cellule dans l'espoir de ne pas commettre l'irréparable avec leur arme. Si le psychologue de cette structure décèle un traumatisme, la cellule répond favorablement à la demande du policier, lequel est soumis parallèlement à un suivi psychologique. Parfois, c'est la famille qui nécessite une thérapie, du fait des durs moments durant des années. Les mécanismes mis en place pour préserver les intérêts moraux du policier ont fonctionné.
Es-ce que le fait d'avoir été confrontés directement au terrorisme a transformé des policiers en hommes violents ou poussé au suicide ?
Nous n'avons pas de cas où le policier est devenu très violent. Mais plutôt des cas où nous avons décelé des signes de troubles psychologiques avec des niveaux de gravité. Cependant pour ce qui est du suicide, il n'est pas établi que le terrorisme en soit un facteur du passage à l'acte dans l'écrasante majorité des cas que nous avons eus, les motifs sont liés soit à des problèmes familiaux, soit sociaux. En fait, les mêmes raisons qui poussent les autres catégories de la population à se donner la mort, la différence entre les deux, est l'arme que possède le policier et qui l'encourage à se tirer une balle dans la tête rapidement. Les autres réfléchissent pendant longtemps au choix du moyen pour mettre un terme à leur vie. Entre temps, il se pourrait qu'ils changent d'avis. Mais avec une arme, il n'y a pas cette phase d'hésitation. Les cellules de suivi psychologique ont mis en place des mécanismes d'alerte qui ont donné de bons résultats. Il s'agit de sensibiliser les policiers en donnant l'alerte sur son collègue qui ne rentre plus chez lui, qui fume plus qu'avant, qui souffre d'insomnie ou tout autre trouble même banal, mais qui pourrait cacher un mal intérieur. Les premières mesures prises bien sûr en douceur consistent à désarmer l'agent, lui accorder un congé et en parallèle le faire suivre par un psychologue. De nombreux agents ont pu être soignés grâce à l'intervention de leurs collègues. Souvent, pour les cas de suicide, le problème est d'ordre familial. Alors le psychologue agit au niveau de celle-ci. Nous avons fait une enquête sur le phénomène du suicide et les chiffres depuis 1973 ne montrent pas une grande prépondérance durant la décennie des années 1990. La moyenne des suicides n'a pas vraiment évolué depuis. Notre objectif est d'arriver à déceler les problèmes familiaux et sociaux du policier pour pouvoir intervenir et éviter le passage à l'acte. Pour cela, il faut la coopération de la famille, des collègues et du policier lui-même.


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