Hier matin, les Oranais se sont réveillés abasourdis et choqués par ce qu'ils avaient vécu la veille durant toute la journée. Une ville balayée par des vagues de centaines de manifestants, dépassant de très loin le cadre des fervents supporters du Mouloudia, et se ruant sur les principales artères du centre-ville, hurlant leurs slogans qui avaient des allures de cris de guerre : “Hamraoua ! Hamraoua ! etc.” Les traces des affrontements et de la casse de la veille étaient visibles en plusieurs endroits et dans plusieurs quartiers. En dépit des craintes et des rumeurs, les Oranais sont tout de même sortis pour vaquer à leurs occupations et se rendre sur leurs lieux de travail, aidés en cela par les transports en commun qui avaient repris du service. Les commerces, également, se sont décidés à rouvrir leurs devantures. Mais la tension était vive et l'inquiétude perceptible, d'ailleurs très rapidement vers les 9h30 du matin, venant simultanément de plusieurs quartiers, un mouvement de panique se propage et, telle une déferlante, se met en mouvement. “Ils recommencent ! Ils descendent à la rue Larbi-Ben-M'hidi. Il ne faut pas rester !” lâchent des hommes à l'attention des citoyens qui attendent les bus ou ceux qui effectuaient leurs courses. Presque aussitôt, les bus, les taxis et les véhicules des particuliers disparaissent de la circulation, les gens se précipitent pour s'éloigner des endroits les plus chauds. Beaucoup étaient sortis hier matin pour se ravitailler en produits de base, comme s'ils avaient à tenir un siège de plusieurs jours. C'est dire le climat grave dans lequel a été plongé la ville d'Oran depuis trois jours. À la place Valéro, prises de panique, des femmes chargées de sacs à provisions, se tournent vers des éléments des forces antiémeutes positionnées à cet endroit stratégique, faisant face au quartier Derb, comme pour rechercher un signe de leur part qui les rassurerait. Les commerçants eux aussi se précipitent pour abaisser leurs rideaux, dans les cafés, les serveurs demandent aux clients de partir au plus vite. En moins d'une heure, le centre-ville prend les allures d'une ville morte, tout est fermé, les renforts des brigades antiémeutes apparaissent et se positionnent au niveau de plusieurs carrefours et rues donnant accès aux quartiers populaires d'où viennent les manifestants : El-Hamri, Victor-Hugo, St-Pierre. De la place des Victoires, surplomblée par le quartier St-Pierre où les violences ont été les plus grandes, l'on aperçoit des centaines de jeunes dont certains encagoulés en train de jeter des pierres. Des pneus et autres matériaux sont jetés sur la chaussée et incendiés. Des commerçants viennent en toute hâte renforcer par les chaînes leurs rideaux de protection. Il faut dire que depuis 48 heures, les pillages en règle de magasins de prêt-à-porter de luxe, des débits de boissons, des buralistes et autres boutiques spécialisées dans le matériel informatique sont signalés un peu partout. “Aujourd'hui, ce n'est plus une affaire du Mouloudia relégué, mais ce sont des voyous, des délinquants qui ont sauté sur l'occasion pour tout casser !” réagit un vieil homme. Des jeunes, qui passivement, observent de loin et surenchérissent : “El-Hadj, c'est la misère, y a plus rien dans ce pays tout est corrompu. C'est normal ?” La discussion se poursuit avec d'autres réactions çà et là. “Ce qui s'est passé avec la relégation du Mouloudia, c'est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Dans les quartiers populaires, les jeunes ne vivent que pour le Mouloudia, ils s'identifient au club parce qu'il n'y a rien et le stade leur permet de se défouler et de s'exprimer. ailleurs, ils n'ont rien, tout est fermé devant eux”. Durant toute la matinée, les forces de sécurité se sont efforcées de contenir les manifestants au niveau de plusieurs quartiers, d'où s'organisent les émeutiers alors que l'ensemble de la ville d'Oran est totalement paralysée. En rang serré, frappant de leurs matraques sur leurs boucliers, les agents des brigades antiémeutes chargent les émeutiers et les poursuivent dans les ruelles, les tirs de bombe lacrymogène se multiplient empestant toute l'atmosphère. Plusieurs arrestations extrêmement musclées se produisent faisant même réagir des gens, qui sur le balcon, suivent les évènements. Cette chasse aux émeutiers se poursuivra durant plusieurs heures et en plusieurs endroits, avec à chaque fois des départs, ailleurs des groupes de jeunes prêts à tout, qui caillassent les policiers et leurs véhicules. À peine disparaissent-ils d'une rue qu'ils ressortent plus loin toujours aussi décidés à affronter les forces de l'ordre. À l'heure où nous écrivions ces lignes, les affrontements se poursuivaient toujours avec, nous dit-on, de nombreux blessés de part et d'autre. C'est l'image d'une ville presque dans le chaos qui nous apparaît, alors qu'à son autre bout, les familles des émeutiers attendent toujours massées devant le siège de la sûreté de wilaya sous haute surveillance. F. Boumediene