La diplomatie algérienne a pris du retard avant de s'exprimer sur le projet du président français de créer une union méditerranéenne. Nicolas Sarkozy l'a précédée, tard dans la soirée du mardi à Tunis, lors d'une rencontre avec les journalistes français, réunis autour d'un thé à la menthe, comme l'a souligné l'envoyée spéciale de BFMTV. « Le président Bouteflika est devenu un ardent défenseur de cette idée, de même que le président Ben Ali », a-t-il déclaré. Mardi 10 juillet, le président algérien n'a rien dit lors d'une conférence de presse d'apparence conjointe avec son homologue français à la résidence d'Etat de Zéralda, à l'ouest d'Alger. A en croire Sarkozy donc, Alger et Tunis sont favorables à une initiative dont les contours ne sont pas clairs. Les deux capitales rejoignent Rabat qui, en premier, s'est empressé de saluer le projet français. Sarkozy attend la visite à Paris, début août, de Hosni Moubarak pour « embarquer » l'Egypte dans son entreprise de fédérer Sudistes et Nordistes dans l'espace bleu de la Méditerranée. « Il ne faut exclure personne », a-t-il dit à Alger. Quelle place aura Israël dans l'ensemble à bâtir ? La Libye, qui est exclue de facto de la nouvelle politique de bon voisinage européenne, acceptera-t-elle l'offre française ? Et comment concilier entre les ambitions de certains pays qui veulent jouer les grands rôles politiques ? Enfin, quel intérêt tire l'Algérie de cette union ? Construire l'Union du Maghreb arabe (UMA), défendue avec ardeur par les officiels algériens, n'est plus à l'ordre du jour. Alger ne veut pas de la politique de bon voisinage européenne, qui impose des conditionnalités démocratiques, comme il ne fait plus attention au processus euroméditerranéen de Barcelone, bloqué, depuis son lancement en 1995, en raison de la crise au Proche-Orient. Medelci, le nouveau ministre des Affaires étrangères, s'est exprimé, plus de 24 heures après, sur le projet français pour reprendre, presque mot pour mot, les propos de Sarkozy. « Cette union envisagée n'est pas un substitut aux accords passés, ni au processus de Barcelone, ni au dialogue des 5+5, mais bel et bien un complément pour gérer les espaces communs contre la pollution et l'insécurité, en d'autres termes, pour envisager une Méditerranée de paix et de sécurité face à toutes les menaces », a déclaré le chef de la diplomatie algérienne dans un entretien à l'agence officielle APS. En termes plus simples, Alger vient d'accorder, presque avec zèle, un avis favorable à l'offre française. « Il y a aussi, et nous l'avons bien relevé, cette idée forte de codéveloppement que le président Sarkozy a abordée, comme par exemple ce projet de mise en place d'une banque méditerranéenne qui viendrait soutenir des projets communs aux deux rives », a ajouté Medelci qui ne fait aucun bilan de l'utilisation des programmes européens Meda dont l'objectif est le même que la banque à créer. Alger est satisfait de « la volonté française » de composer avec l'Algérie les contours de la future union. « Nous nous sommes donné un an pour clarifier le concept », a précisé Medelci. Sarkozy a déclaré être venu à Alger pour écouter « les conseils avisés » du président Bouteflika sur ce sujet. Paris voudrait travailler avec des pays comme la Tunisie, l'Algérie, l'Egypte et la Libye pour donner corps à son projet afin de déverrouiller les réticences espagnoles, italiennes et apaiser les doutes de l'Allemagne. La France entend jouer un rôle diplomatique moteur en Europe et en Méditerranée pour contrecarrer les avancées américaines et russes. Nicolas Sarkozy vise également, à travers son initiative, à empêcher la Turquie, pays majoritairement musulman, d'adhérer à l'Union européenne (UE). Là, il y a un problème : l'Algérie est-elle favorable à l'adhésion de la Turquie à l'UE ? La réponse du chef de la diplomatie algérienne au refus clair du président français de reconnaître les crimes du colonialisme marque une nette reculade. « Si nous n'oublions pas le passé, écrit ou non écrit, nous ne devons pas, et pour cause, l'effacer. S'il est clair qu'il est attendu que nous nous projetions tous vers le futur, il est tout aussi clair que nous n'oublions pas ce passé », a souligné Medelci. Il est visiblement plus question de réitérer l'exigence, exprimée publiquement par le président Bouteflika, de demander des excuses pour les crimes de l'armée coloniale. « Je viens ici ni pour blesser ni m'excuser (...). Je respecte l'Algérie pour ce qu'elle est, son histoire, ses hommes d'Etat. Je souhaite seulement que la France soit considérée de la même façon », a déclaré Sarkozy à Alger. Si le quotidien français Le Monde évoque, dans son édition d'hier, « la diplomatie de l'incantation et du verbe », attribuée à Nicolas Sarkozy, Mourad Medelci parle, lui, de « pragmatisme et de volonté ». Il souligne aussi « le dialogue constructif » qui doit préparer la visite d'Etat du président français, prévue en décembre 2007 au lieu de novembre comme annoncé auparavant. Aucune indication n'est fournie sur la teneur de ce « dialogue ». Le commentateur du magazine économique Challenges va, lui, droit au but : Nicolas Sarkozy est parti à Alger pour parler business. « L'Algérie est en effet un pays qui s'enrichit à grande vitesse, notamment grâce aux revenus des hydrocarbures : quatrième exportateur de gaz, derrière la Russie, le Qatar et la Norvège, l'Algérie est un partenaire incontournable. Le pays a apuré toutes ses dettes et dispose de quelque 80 milliards de dollars de liquidités, soit la dixième réserve mondiale de devises (...). La France doit mettre les bouchées doubles si elle veut devenir un partenaire de premier ordre de l'Algérie », écrit-il. Selon Reuters, Sarkozy a déclaré mardi soir à Tunis que le renouvellement des contrats d'approvisionnement à long terme de Gaz de France en Algérie était « bien parti ». « C'est un point très important pour nous. Parmi les producteurs de gaz, vous avez la Russie, l'Iran, le Qatar, où rien n'est libre jusqu'en 2009. Et donc, tout ça c'est quand même assez sérieux », a-t-il soutenu. Sarkozy, qui a reporté une escale à Rabat à la demande des autorités marocaines, a affirmé qu'il n'existe aucune brouille avec le royaume. Mohammed VI aurait souhaité, d'après lui, que la première visite du nouveau président français soit « une visite d'Etat ».