Les attentats du 11 avril dernier ont été pour les experts de la police scientifique révélateurs en matière d'investigation criminalistique, d'autant qu'ils avaient été aidés par l'analyse du véhicule piégé abandonné par son conducteur à Hydra. Les trois bombes contenaient chacune une quantité de 190 à 200 kg d'explosif. Elles avaient le même profil de confection. Des bonbonnes de gaz remplies de nitrate d'engrais, avec une chape d'appui de TNT et un système de détonation artisanal, le fameux TATP, actionné à distance avec un téléphone portable. L'expertise a touché tous les volets liés à l'enquête. Les véhicules ont été identifiés. Les traces de sang retrouvées sur des pierres et une partie de cerveau humain projeté à 20 m de l'impact ont été passées au test d'ADN et les résultats ont permis d'aboutir à l'identification, en 48 heures, de deux auteurs. Les mêmes qui sont apparus à visage découvert pour revendiquer les attentats. Il n'est pas formellement reconnu qu'il s'agisse de kamikazes. La thèse selon laquelle ces deux terroristes n'avaient pas l'intention de se tuer est très probable. Les experts préfèrent ne pas écarter l'éventualité que d'autres complices aient pu actionner l'engin à distance, sans que les transporteurs (du fourgon frigorifique) ne soient au courant. Pour ce qui est des deux autres véhicules piégés de Bab Ezzouar, aucune trace de leur présence formelle sur la scène du crime n'a été établie scientifiquement, même si l'un d'eux a été identifié sur les photos publiées par le GSPC. Pour celui-ci, aucun élément scientifique probant n'a établi sa présence sur les lieux. Les experts ont néanmoins réussi en l'espace de 10 jours à reconstituer les trois attentats et remonter la traçabilité des composants utilisés. Ce qui a permis aux services de sécurité de neutraliser le réseau derrière tous les attentats à l'explosif ayant eu lieu à Tizi Ouzou, Boumerdès et Alger, parce qu'il s'agissait de la même filière. Ce qui prouve, déclarent nos interlocuteurs, que lorsque la technologie est mise entre les mains de compétences du terrain, le résultat ne peut être que satisfaisant. Ils estiment important de revenir toujours à l'autopsie de la scène du crime, où se trouvent les pièces à conviction. Le moteur du fourgon frigorifique de l'attentat contre le palais du gouvernement a été retrouvé à 800 m du cratère, alors que le moteur du véhicule piégé qui a explosé contre le bâtiment de la DGSN, à Bab El Oued, il y a quelques années, a été retrouvé, à titre de rappel, à l'intérieur du lycée Emir Abdelkader. Les images prises sur les lieux, grâce aux caméras de surveillance, ont été d'un grand apport pour la compréhension et la simulation informatisée. Pour l'anecdote, lors du visionnage de ces enregistrements par les spécialistes, un terroriste recherché a été filmé en train de parler au téléphone (mobile). L'exemple de la Grande-Bretagne est à ce titre très révélateur. C'est grâce à ces caméras placées dans chaque coin de rue que les auteurs des attentats du 11 juillet à Londres ont été filmés et identifiés sans aller vers une expertise. Ces outils sont d'un apport considérable, estiment nos interlocuteurs, et permettent à la police de faire beaucoup plus dans le renseignement criminalistique, donc dans la prévention, pour anticiper sur les attentats, que dans la répression. « Pour les auteurs des attentats du 11 avril à Alger, nous avons des terroristes qui affirment être les auteurs. Nous les avons identifiés. Mais si des caméras étaient placées tout autour du quartier, nous aurions eu des résultats probants. Ce qui est important à noter, c'est que malgré ce qu'a vécu la capitale ce jour-là, tous les services de sécurité ont réagi avec des mesures préventives adaptées pour faire face à des attentats kamikazes. Beaucoup de pays restent déroutés face à des attentats de ce genre. Faut-il entourer tous les édifices publics avec des pneus, des barricades en ciment, des pots blindés, etc. ? » Vers un fichier national de l'empreinte génétique Comme à toute chose malheur est bon, c'est le séisme du 21 mai 2003 qui va accélérer l'acquisition de la technologie la plus récente en matière d'expertise génétique, c'est-à-dire l'élaboration des tests d'ADN. Le premier test est réalisé en novembre 2004, à la suite d'une commission rogatoire espagnole sur la vérification d'un profil génétique d'un des auteurs présumés de l'attentat du 11 mars à Madrid. Le laboratoire scientifique de la sûreté nationale réussit l'expertise et aboutit aux mêmes résultats que ceux établis par son homologue espagnol, avec lequel une coopération en matière de formation existait déjà depuis trois ans. Les équipements acquis sont les plus modernes en la matière. Seuls trois pays au monde en disposent. L'Algérie est le quatrième. Des techniciens ont été formés en France, en Espagne et en Belgique pour les utiliser et optimiser leur rendement. Depuis, 855 affaires (au moins trois profils pour chaque affaire) ont été élucidées grâce à ces tests dont les résultats ont été validés par les experts mondiaux en génétique. Une cinquantaine d'autres le seront d'ici à la fin du mois de juillet en cours. Il s'agit d'homicide, d'identification de cadavres, de filiation, de vol ou d'affaires liées au terrorisme. A ce titre, il est important de rappeler l'affaire de la petite fille tuée par un automobiliste à Tébessa. Dans la panique, celui-ci a pris la victime pour l'abandonner dans un buisson. Les traces de sang de la victime et la nature de la peinture trouvée sur les vêtements de celle-ci ont compromis l'auteur, lequel finit par avouer son crime. L'expertise a également permis d'identifier le petit garçon d'un gendarme enlevé à El Bayadh, découpé et mis dans un sac en plastique pour être abandonné dans la nature. Après des jours de recherches, les parties du corps en décomposition ont été retrouvées et l'identification formelle a été possible grâce à l'expertise du laboratoire de l'identité génétique. Cet outil a aidé à l'identification des cadavres dans les situations de catastrophe naturelle, criminelle ou chimique. Le laboratoire compte parmi ses spécialistes des experts qui arrivent à déterminer l'empreinte génétique à partir d'une dent, d'un ossement, de sang, de salive ou de quelques cellules épithéliales. Actuellement, il est question de renforcer les capacités de ce laboratoire afin de vulgariser les empreintes génétiques, pour constituer un fichier. D'ici 2008, ce service compte enregistrer quelque 256 000 profils génétiques, dont celui de la trentaine d'experts qui exercent dans le laboratoire. Un laboratoire, faut-il le préciser, devenu le plus sollicité dans le cadre des commissions rogatoires des justices du monde entier, notamment dans les enquêtes liées aux affaires de terrorisme. Une commission interministérielle est en train de finaliser un projet de texte de loi définissant l'utilisation des empreintes génétiques en tant que preuve pénale. Ce projet de loi devra être fin prêt d'ici 2008. Mieux, il est question également de mettre en place un fichier génétique qui cible d'abord la population carcérale délinquante par catégorie de crimes, afin de constituer une base de données fiable. Les pays les plus avancés en la matière sont la Grande-Bretagne, avec un fichier génétique de 2,3 millions de profils.