Avec une carrière de plus 40 ans, Abdelkrim (Krimo) Benkharfallah fait incontestablement partie des comédiens chevronnés de l'ancienne génération. Ayant beaucoup à donner, l'ancien élève de Mahieddine Bachtarzi est malheureusement sur le ‘banc de touche” depuis quelques années. Sans ressources, sans logement, il doit aussi gérer un “chômage” dur et humiliant. Cependant, le très pudique Krimo qui a côtoyé Hanin et Noiret préfère nous parler de son métier, la comédie. Entretien. D'où vient Krimo Benkharfallah ? Je suis né à Alger, à Notre-Dame d'Afrique (NDA) ou Madame l'Afrique de nos parents, précisément au Village Marie, en 1942. C'est l'année du débarquement américain à Alger. On était en pleine guerre mondiale. La misère qui prévalait chez les Algériens n'empêchait pas les autochtones que nous étions d'envoyer leurs enfants à l'école. C'est en tout cas ce que fit mon père à mon égard. J'ai été scolarisé à l'école communale de NDA. Vous y avez appris aussi l'art dramatique ? Et si je vous disais oui ?! Oui dans la mesure où l'école m'ouvrait la porte du savoir, et ce, contre toute attente du pouvoir colonial de l'époque. Certes les élèves “indigènes” rigolaient lorsque le maître leur disait que leurs ancêtres étaient des Gaulois. Mais, et c'est peut-être un paradoxe, l'école coloniale nous ouvrait, sans le savoir bien sûr, la porte au nationalisme. Quant à moi, je nourrissais une espèce de dérision face à l'ordre établi. Je me moquais de ce système colonial qui gommait tout un peuple, son histoire, sa langue, sa religion... Pour revenir à votre question, je dirais que l'univers dans lequel je baignais était lié, effectivement, à l'art au côté d'une intense activité sportive (karaté, jeu de bâton, équitation...) Artiste avant l'heure ? Si vous voulez. Mais j'ai caché ce “statut” jusqu'à un âge avancé. J'avais 20 ans lorsque j'ai rejoint le conservatoire d'Alger pour apprendre le théâtre et la comédie sous la direction du défunt Mahieddine Bachtarzi. J'ai connu aussi à cette époque Ahmed Kadri (Krikèche) qui m'a beaucoup aidé. C'est lui d'ailleurs qui m'a initié au sketch. Sinon, mon histoire retient que c'est en 1966 que Abdelkrim Benkharfallah fit sa première apparition télévisée. Il s'agissait d'un sketch joué à la salle Ibn Khaldoun en compagnie du défunt Sid Ali Fernandel. Le spectacle était télévisé en direct. Des films ensuite ? Beaucoup de longs métrages. Il y eut même des films co-produits avec des Italiens et des Français. Je peux citer l'Ane d'or de Sergio Spina où j'étais cascadeur-gladiateur, Les Aveux les plus doux d'Edouard Molinaro où je fus distribué aux côtés de Roger Hanin et Philippe Noiret. J'ai joué dans Hassen Terro s'évade et plein d'autres films dont j'ai oublié les titres. Krimo Benkharfallah demeure avant tout la star des feuilletons. N'est-ce pas ? Il y a plein de stars en Algérie. Mais c'est vrai que j'ai été sollicité dans des dizaines de feuilletons. Les réalisateurs comme Amar Tribèche, le défunt Djamel Fezzaz, Youcef Sahraoui, Baya Hachemi ou Dahmane Ouzit qui ont fait appel à moi disent apprécier le travail qu'on fait ensemble. C'est dû au fait que je prends toujours le temps de lire attentivement le scénario et d'apporter ma touche personnelle. Sans citer tout, je me permets de rappeler quelques productions telles “Pas de Gazouz pour Azzouz” qui raconte la détresse d'un couple, Ailet (famille) Si Slimane de Mohamed Ferrah, réalisé par Amar Tribèche. J'ai joué aussi dans Al Ghazala de Youcef Sahraoui, dans Ard et chouk (terre et épines) le rôle de Lakhdar Gouatria, Al Ghaib (l'absent) de Dahmane Ouzit, Aïla kima ennass, de Amar Tribèche où je suis Mokrane El Pisri, etc. Je dois signaler que j'adore le théâtre. J'ai joué dans plusieurs pièces dont Ezniqa de Abdelghani Mehdaoui, Boukarnouna de Bachtarzi réalisé par Badie, Mou El Baraka de Bachtarzi également et la toute dernière pièce Madinet El Hob de Abdelkader Tadjer, produite par Boualem Aïssaoui dans le cadre de l'année arabe. Dans cette fresque historique, je tiens plusieurs rôles : dey d'Alger, Bach Adel (ministre de la Justice) et le rôle du Duval, consul de France auprès de la Régence d'Alger. On vous a vu aussi dans Derbouka et Si El Macho de Mohamed Badaoui. Depuis la générale en mai 2006 à Ibn Zeydoun, la pièce n'a plus été jouée. Pourquoi ? Effectivement. Cette belle production, signée de surcroît par le talentueux Mohamed Badaoui, cherche désespérément un lieu où le public puisse l'apprécier. Plusieurs tableaux sont abordés, comme les droits et devoirs de l'homme et de la femme, le machisme, la jalousie, la manipulation de l'autre... Dans la pièce, je suis Si El Macho, un personnage, comme son nom ne l'indique guère, en définitive doux et aimable. Il faut savoir que Mohamed Badaoui, également journaliste-chroniqueur, signe la mise en scène et la chorégraphie de la pièce. Nous avons entendu dire qu'en plus d'être sans ressources, vous êtes menacé de squatter la rue car vous devez quitter une baraque qu'on vous a prêtée dans les montagnes de Hammam Melouane. C'est vrai ? Oui.