Les Turcs procèdent aujourd'hui au renouvellement de leur Parlement. Mais une élection anticipée tout de même, puisque l'actuel mandat n'arrive à expiration qu'au mois d'octobre prochain. La raison en est la grave crise institutionnelle qui dure depuis le mois d'avril dernier, et qui a amené le parti au pouvoir, l'AKP (Parti de la justice et du développement) à prendre une telle décision. Ce parti qui refuse d'être considéré comme islamiste, même s'il a pris la relève d'autres formations de la même tendance, était sur le point de s'emparer de toutes les institutions du pays en briguant tout simplement, la magistrature suprême. Jamais une élection présidentielle en Turquie n'a revêtu une telle importance. On disait de la fonction qu'elle était symbolique, mais voilà que les hommes politiques et les constitutionnalistes lui découvrent des pouvoirs importants, comme le fait de désigner aux plus hautes fonctions les magistrats et les recteurs d'université, ceux-là mêmes qui veillent sur les lois du pays, qui interdisent le port du voile à l'intérieur de certaines institutions. Mais voilà qu'un regard iconoclaste, celui d'un écrivain connu, remet en cause certains faits que l'on croyait établis, ou encore révélateurs d'un fait lui-même établi. Ainsi, relève-t-il, « une récente enquête d'opinion montre qu'environ 60% des femmes en Turquie portent un foulard hors de leur domicile. Le même sondage, pourtant, révèle que le pourcentage de femmes qui couvrent leur tête intégralement, et davantage pour des raisons politiques que traditionnelles, ne dépasse pas 11% ». Il soulignera aussi que dans ces élections, le nombre de femmes candidates de tous les partis a ostensiblement augmenté, tout comme l'activisme politique féminin en général. Sauf que ceux qui se braquent sur ce symbole sont chaque jour au bord de l'affrontement. Il n'est pour cela que de se rappeler des immenses manifestations dans les grandes villes turques pour dénoncer l'islamisation de la société. Et c'est ce qui a probablement amené M. Erdogan à revenir sur sa promesse de lever l'interdiction du voile, soulignant que la Turquie avait encore besoin de temps pour trouver un compromis sur le retrait de l'interdiction du voile dans les universités. L'argument de l'APK, selon lesquels l'interdiction de porter le voile à l'université viole la liberté de conscience et le droit à l'éducation, ont subi un revers en 2005, lorsque la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que l'interdiction n'était pas une violation de droits et pouvait être nécessaire pour protéger l'ordre laïc des mouvements extrémistes. Pari risqué Arrivé au pouvoir en 2002, l'APK créé en 2001, a désavoué son origine islamiste, s'engageant en faveur de la laïcité et mettant en œuvre des réformes qui ont permis le début des négociations d'adhésion entre la Turquie et l'Union européenne en 2005. Les milieux d'affaires lui attribuent une bonne note, avec une stabilité économique et une croissance que la Turquie n'avait jamais connues auparavant. Il est donné favori au scrutin. Selon les derniers sondages d'opinion, il est crédité d'environ 40% des suffrages, mais en raison du système électoral turc, il pourrait ne pas obtenir la majorité absolue des sièges au Parlement (550 au total). Le CHP est crédité entre 20 et 25% des voix, tandis que le MHP, qui était resté sous la barre des 10% des voix nécessaires à l'échelle nationale pour se faire représenter à l'Assemblée lors des dernières élections, pourrait obtenir entre 10 et 15% des suffrages. Quant au CHP, principale force d'opposition au Parlement, créé par le fondateur de la Turquie laïque Mustafa Kemal Atatürk, il se dit social-démocrate, mais il est accusé de tenir un discours de plus en plus nationaliste. Membre de l'internationale socialiste, il revendique le courant laïc kémaliste. Les divisions internes au sein de la gauche turque ont tout au long des deux dernières décennies produit des gouvernements majoritairement de droite. Cette fois, le CHP, allié avec un petit parti de centre-gauche (DSP), espère pouvoir gouverner le pays ne serait-ce qu'en intégrant une coalition. Il pourrait prétendre à former un gouvernement si l'AKP, n'obtenait pas la majorité absolue à l'Assemblée nationale. Ces deux formations étaient les seules à envoyer des députés à l'Assemblée lors du dernier scrutin de 2002 avec, respectivement, 34% et 19% des voix. Même si M. Erdogan insiste, lors de sa campagne électorale, sur le fait que l'AKP continuera à gouverner seul, selon plusieurs sondages, la nouvelle composition parlementaire pourrait provoquer une coalition. Quel que soit le résultat, une fois le nouveau Parlement élu, il faudra à nouveau, procéder rapidement à l'élection d'un chef d'Etat, et ce, avec le risque potentiel de retomber dans la même impasse avec, peut-être, de nouvelles élections à la fin de l'automne. Le pari est donc risqué, et la Turquie pourrait perdre la stabilité politique et institutionnelle qu'elle connaît. Peut-être qu'un autre débat s'ouvrira alors. Un vrai, pour définir les véritables enjeux.