Le ministre de la Communication, Abderrachid Boukerzaza, semble prendre ses distances vis-à-vis de la presse privée algérienne. Depuis son installation à la tête du département, les journaux indépendants sont étrangement absents de ses centres d'intérêt, du moins à se fier à ses déclarations officielles. Ce week-end encore, il a rajouté une couche au doute ambiant dans les rédactions privées quant à sa stratégie de réforme du paysage médiatique. Le ministre semble faire abstraction de plus de 300 titres de la presse privée qui emploie environ 5000 salariés – entre journalistes et assimilés – pour concentrer ses efforts sur les seuls médias publics. Dans un conclave avec les directeurs généraux des entreprises publiques de presse qu'il a présidé jeudi dernier, M. Boukerzaza a annoncé un plan Marshall pour « une dynamique plus forte du secteur public pour en faire un pôle important de la scène médiatique nationale ». Que les pouvoirs publics se résolvent enfin à reformater les médias à leur service est en soi une bonne chose. Cela nous réjouirait sans doute de voir « l'ancêtre » El Moudjahid et ses « congénères » parmi les journaux gouvernementaux opérer leur mue ne serait-ce que pour stimuler la concurrence au grand bonheur des lecteurs. Sur ce point, le nouveau ministre de la Communication a raison de vouloir « hisser tous les médias publics à un niveau de meilleurs qualité (…) et de garantir la plus large crédibilité ». Quid de la presse privée ? Curieusement, M. Boukerzaza n'a soufflé mot dans sa plaidoirie pour le tout-public. Faut-il comprendre que la nouvelle stratégie – si tant est qu'on puisse la qualifier ainsi – du ministre se décline comme une volonté d'opposer la presse publique à celle privée en dotant la première de moyens matériels et techniques lui permettant de noyer la seconde ? « L'Etat est déterminé à tout mettre en œuvre pour réussir le pari de la modernisation et de la crédibilité », assure M. Boukerzaza qui reconnaît au passage l'existence d'entraves « qui ont empêché jusqu'à l'heure l'émergence d'une presse publique plus performante ». C'est là justement le nœud de la question ! En tournant le dos aux préoccupations des citoyens et de la société, les journaux gouvernementaux ont subi automatiquement la sanction du marché. Aussi, la légèreté avec laquelle ce média « lourd » qu'est l'ENTV traite-t-il l'actualité nationale ne pouvait produire meilleur résultat. C'est dire que la thérapie que préconise M. Boukerzaza risque de n'être qu'un cautère sur une jambe de bois. Du brainstorming au conclave… En réunissant uniquement les patrons des médias publics, le ministre ne rompt-il pas avec une éphémère vision officielle du paysage médiatique qui veut que la presse nationale – publique et privée – soit une et indivisible ? Faut-il rappeler que son prédécesseur, Hachemi Djiar, se faisait un point d'honneur de ne pas dissocier les deux secteurs, considérant à juste titre qu'ils ont la même finalité de service public. M. Boukerzaza est évidemment dans son bon droit d'imposer une feuille de route pour « moderniser et crédibiliser » la presse publique. Il ne pourra pas en revanche mettre hors jeu les responsables et les journalistes du secteur privé quand il s'agira de réfléchir à des textes devant régir la profession, toute la profession. En l'occurrence, les médias privés ont certainement des choses à dire et à proposer à propos du statut du journaliste, de la réforme du code de l'information, de la loi sur la publicité et, éventuellement, celle de l'audiovisuel. Ce genre de débats ne peut logiquement être enfermé dans quelques cénacles officiels fussent-ils experts. On pensait pourtant que les fameux brainstormings de M. Djiar allaient tout au moins être reconduits à défaut de les fructifier dans un secteur où l'ordre de mission du premier responsable est justement de (re)produire le statu quo. La preuve ? C'est depuis le passage de Mme Toumi à la tête de la communication qu'on parle d'amender la loi sur l'information, la profession attend en vain ce texte arlésienne. Entre temps, le secteur a consommé trois ministres et s'est même payé une vacance de plus d'une année sans que l'on juge utile de nommer un responsable. A-t-on vraiment besoin ? La question coule de source, quand on sait que ce secteur sensible est géré depuis un autre palais que celui de culture.