Après les produits alimentaires, la fièvre des augmentations atteint les matériaux de construction. Ciment, sable et rond à béton ont enregistré durant ce mois d'août des pics de prix. Une virée chez les détaillants de la banlieue algéroise permet de mesurer l'étendue de la pénurie qui sévit. Si pour les autorités l'heure n'est pas à l'alarmisme, les revendeurs, eux, craignent pour leurs affaires, d'autant plus que la contraction de la demande commence à se manifester. Généralement, traitant avec les autoconstructeurs et de petits entrepreneurs, les commerces du lotissement Amara (Chéraga), de Dély Ibrahim, de Ouled Fayet ou encore de Gué de Constantine n'arrivent pas à expliquer les dernières hausses. Par rapport à l'année précédente et celle d'avant, les prix du rond à béton ont doublé, affirment les gérants des PME de la distribution. Le ciment, intrant de base, affiche des tarifs exorbitants. Cédé en moyenne à 280 DA, le sac de 50 kg sorti des usines de la Société du ciment de la Mitidja (SCMI), filiale de l'ERCC, ne s'échange pas en dessous de 350 DA. Par endroits, il est affiché à 370 DA, comme cela est le cas du côté est d'Alger. La production d'Algerian Cement Company (ACC), quand elle n'est pas rare, se négocie à des niveaux encore plus élevés. Le sac de 50 kg se renchérit entre M'sila (lieu de production) et Alger pour atterrir dans les bétonneuses à 480 DA. Contactés à plusieurs reprises pour nous donner des explications sur ces bouleversements, les responsables des cimenteries publiques et ceux de l'ACC sont restés injoignables depuis plus d'une semaine. En revanche, le président de la société de gestion des participations des industries du ciment (SGP Gica), M. Thamri, a souligné que « la période actuelle de l'année se caractérise par des pics de consommation ». Il ne manquera pas de rappeler que durant le reste de l'année, les cimenteries connaissent des périodes de « mévente ». « La crise du ciment n'est pas durable » C'est ce qui s'observe en fin d'année, cite-t-il en exemple. Outre le phénomène de « saisonnalité », le premier responsable de la SGP Gica fait remarquer que le marché traverse une conjoncture particulière marquée par une forte demande par rapport à l'offre existante. « Tout le pays est en chantier », rappelle M. Thamri qui énumère sommairement les projets de l'autoroute Est-Ouest, le million de logements et ceux des infrastructures de base dans l'éducation, les transports, l'enseignement supérieur… Ceci étant, la SGP Gica se veut rassurante. En dépit de l'augmentation de l'offre face à la demande, M. Thamri ne parle pas encore de crise « structurelle ». Les cimenteries publiques déploient des efforts pour accroître la production. Les capacités théoriques actuelles s'approchent des 11 millions de tonnes par an, alors qu'elles ne dépassaient pas les 8,5 t en 2003. Le ciment blanc manifeste la même tendance haussière. En trois mois, ce produit consommé à hauteur de 250 000 t/an a quasiment sextuplé. De 675 DA, le sac conditionné en 50 kg a frôlé les 3500 DA avant de redescendre à 3000 DA. Entièrement dépendant du marché extérieur, en attendant le démarrage de la production de la nouvelle cimenterie de Mascara d'Orascom, le ciment blanc s'établit depuis quelques jours à 1500 DA. D'après le gérant d'une petite entreprise de distribution activant dans la zone de Amara, cette pénurie a été causée par le retrait de gros importateurs qui, craignant l'entrée en activité de la cimenterie d'Orascom, ont anticipé sur une éventuelle chute des prix. Pour se couvrir contre les pertes, les importateurs ont conditionné la fourniture de cette matière première par le préétablissement de contrats d'achat avec les entrepreneurs et le paiement à l'avance, soutient encore ce gérant. D'autres entrepreneurs ont choisi de se lier avec le nouvel opérateur du segment, en l'occurrence Orascom, dont les capacités installées atteignent les 550 000 t/an, soit au-delà des besoins qu'exprime le marché domestique. Prévue pour avril dernier, ladite cimenterie n'a pas encore livré son premier sac. Des acheteurs n'écartent pas dans leurs tentatives d'analyse une volonté de provoquer une pénurie pour réajuster les prix jusque-là en vigueur. Nos tentatives d'avoir la version de l'opérateur égyptien sont restées vaines. Néanmoins, à travers les colonnes d'un confrère, le directeur général de l'ACC, Ayman Anis, balaie les rumeurs et nie l'existence d'une crise du ciment. Il soutiendra que « la crise du ciment que connaît l'Algérie dernièrement est une crise fabriquée de toute pièce par un certain nombre de spéculateurs qui ont su tirer profit de l'arrêt d'un nombre d'usines de l'est du pays pour augmenter les prix et décupler leurs bénéfices ». S'agissant du ciment blanc, sa commercialisation débutera le 25 août, promet ce responsable. Sable, un vent d'inquiétude Par ailleurs, le secteur du bâtiment et des travaux publics risque de se retrouver en panne de sable. Dès septembre, l'extraction de sable des plages et des oueds sera interdite. L'instruction interministérielle engageant les départements de l'habitat, de l'hydraulique et des travaux publics sera effective dès le 4 du mois prochain. Pour les experts, le sable concassé est le matériau de substitution parfaitement adapté aux critères. Cependant, l'indisponibilité de données sur les investissements fait craindre une autre crise. En l'absence de suffisamment de sable concassé produit par les carrières, tel que nous l'avons appris auprès des revendeurs, le marché risque la pénurie, en dépit des neuf milliards de dinars dégagés par les pouvoirs publics pour permettre aux entreprises ainsi qu'aux stations de concassage d'acquérir de nouveaux équipements. Pour les entrepreneurs, les chantiers risquent tout simplement l'arrêt, d'autant plus que l'option de l'importation n'est, semble-t-il, pas retenue. Le mètre carré plus cher ? Les agrégats constituent un élément déterminant du coût du mètre carré habitable, d'où la nécessité de prendre en charge cette question d'augmentation des tarifs des matériaux de construction. La hausse des prix des agrégats entraîne celle du logement, mais c'est conjoncturel, estiment les professionnels qui parlent d'une régulation du marché dès la concrétisation des projets d'investissement pour l'exploitation des carrières. Ce phénomène s'est accentué surtout après l'annonce des grands projets structurants inscrits dans le cadre du programme complémentaire de soutien à la croissance économique. Des promoteurs recommandent l'utilisation de nouveaux systèmes de construction, tels que les panneaux qui consomment moins d'agrégats, ce qui va réduire sensiblement les délais et par la même occasion les coûts. Il y a lieu de s'attendre également à une réévaluation des coûts des grands projets. Pour rappel, une première réappréciation de certains projets a été contenue dans la dernière loi de finances complémentaire pour 2007. Les dépenses d'équipement ont ainsi crû de 12%, passant à 2294 milliards de dinars.