Hasards d'un calendrier réservé aux seuls initiés ou résurgence conjoncturelle d'un passé récent, certains acteurs incontournables de la période de transition ont décidé de réoccuper la scène médiatique et, par-là même, la scène politique laquelle, il est vrai, était jusque-là d'une indigence criante. Le fait générateur de ce gros orage d'été réside dans le contenu de l'ouvrage de l'ex-chef du gouvernement, Belaïd Abdeslem, publié on line et consultable à distance. Par ce procédé, l'auteur s'est assuré une tribune à travers laquelle il a exprimé librement ses avis hors des sentiers balisés de la pensée unique. C'est en « affranchi » qu'il a asséné ses « vérités ». Et par son recours à Intenet, c'est en homme de son époque qu'il se revendique. Mais cette liberté d'expression est assortie d'un corollaire indissociable : l'acceptation de la réactivité et du débat qu'elle suscite. C'est dans cet esprit que s'inscrit ma présente contribution, et nulle autre finalité ne saurait lui être imputée. Depuis le 31 juillet dernier, date à laquelle le général Touati a révélé dans ce débat que la cause exacte de son départ du cabinet de Belaïd Abdeslem était le défaut de mise en place du dispositif de protection des DEC promis, je n'ai eu de cesse d'attendre de la part de l'ancien chef du gouvernement, un geste d'apaisement ou une parole de repentance ou de regret à l'égard des familles des DEC sacrifiées sur l'autel de la République. Les semaines se sont succédé et la subsidiarité de cette part du bilan gouvernemental s'est confirmée par le silence qui l'a entourée et du vacarme qui s'est trouvé décuplé sur la question du rééchelonnement de la dette extérieure de l'Algérie. Si l'art de l'esquive est le propre du maître d'armes, l'orgueil restera son péché. Réduire le débat sur la période de transition à de simples questions d'ordre technique et financier, même si celles-ci, étaient cruciales, et faire l'impasse sur le socle humain qui l'a portée, constitue une injustice doublée d'un mépris envers toutes celles et ceux qui ont accepté des responsabilités civiles, alors que beaucoup fuyaient vers des cieux plus cléments. Les délégations exécutives communales, qui sont aujourd'hui vouées aux gémonies, décriées par tant de forts en thèmes issus des urnes d'Oudini, ne sont guère la simple vue d'un esprit malfaisant. Elles sont d'abord une construction juridique qui découle du décret présidentiel n° 92-44 du 9 février 1992, portant l'instauration de l'état d'urgence, du décret exécutif n° 92-142 du 11 avril 1992, portant dissolution d'APC, d'une part ; et enfin du décret exécutif n° 92-143 relatif à la suspension des assemblées communales, d'autre part. Leur mission était d'exercer à titre transitoire les attributions de l'APC jusqu'à leur renouvellement par voie électorale. L'instruction n°01 du 15 avril 1992 du ministre de l'Intérieur, relative aux modalités de mise en place des DEC, est venue expliciter les préalables confiés à la charge des walis et les recommandations adressées aux DEC. Cette circulaire, tout en insistant sur les aspects gestionnels confiés aux DEC, chargeait ces dernières d'initier toute forme de dialogue et de concertation avec tous les citoyens de la commune, sans exclusive. Elle mettait également l'accent sur la nécessité pour ces dernières de réaliser les objectifs assignés par le programme du gouvernement, dont la lutte contre l'habitat précaire, la prise en charge des problèmes de la jeunesse, et la restauration de l'autorité de l'Etat. A cette époque, l'ancien chef du gouvernement et depuis juillet 1990, l'Etat central algérien avait perdu le contrôle quasi total de ses ramifications territoriales à travers une cohabitation de deux visions antagoniques de l'Etat. La mission des DEC était de mettre fin à ce désordre avec les moyens du bord et beaucoup de bonne volonté. Les membres des DEC étaient des civils, des administrateurs, mais nullement des guerriers préparés à une dure bataille dont la férocité, la barbarie et la haine des ennemis jurés de la République allait en faire les premières victimes expiatoires. Qu'on les dispense et qu'on me dispense des formules enveloppées d'un habit de condescendance du type « leur sacrifice restera de plus glorieux... » On invoque dès lors l'urgence et l'impréparation et la mise en place progressive des dispositifs de protection. A qui ont donc bénéficié ces dispositifs sécuritaires ? Certainement aux membres du gouvernement indispensables au bon fonctionnement de l'Etat, et certainement plus encore à celles et à ceux qui ont passé le plus clair de leur temps à arpenter le Sud dans une interminable caravane. Il est vrai qu'à cette époque, le Sud était béni pour les villégiatures. D'ailleurs, cette caravane a connu son apothéose à Aïn Taya, puisqu'un enfant atteint de poliomyélite a même recouvré l'usage de ses jambes. Miracle qui se doit d'être mis à l'actif de votre gouvernement, et dont la presse était, comme par hasard, témoin. Les DEC, et j'en témoigne, n'ont jamais bénéficié d'un quelconque dispositif de protection. Ils ont eu droit à un petit fascicule contenant des consignes à observer pour leur survie. Quant à la mise à disposition d'armes de poing au bénéfice des membres des DEC, celle-ci s'est effectuée en ce qui me concerne en août 1993. Mon attestation d'affectation d'une arme de poing est datée du 17 juillet 1993. Elle est signée par M. Tolba, directeur général de la sûreté nationale. Elle fait foi à mes dires. Fin mars 1993 : 39 DEC étaient déjà assassinés ; le 5 mai 1993, 5 policiers étaient abattus devant le siège de l'APC de Aïn Taya. C'était un jeudi matin. Il était sept heures quarante-huit minutes. Les hommes font les institutions et leur confèrent leur noblesse. L'inverse est improbable. La transition a duré plus de cinq ans, mais elle a quand même ramené l'Algérie vers des eaux plus calmes. Il a fallu beaucoup de travail, d'abnégation et, surtout, énormément d'humilité. La rupture n'a pas été atteinte, mais cela est une autre affaire pour une autre histoire. Les DEC de la première heure ont accepté en toute conviction et confiance d'occuper les postes avancés de la République. Ils furent souvent, et en sus des contraintes sécuritaires, admis aux pressions de walis peu scrupuleux. Votre circulaire monsieur l'ex-chef du gouvernement confirme, si besoin était, qu'à l'automne 1992, l'administration déconcentrée n'était toujours pas au diapason des orientations politiques du gouvernement. Et quelles que furent les difficultés que vous avez eu à affronter dans la gestion de l'Etat, eu égard à l'état des lieux de la maison Algérie de l'époque, rien ne justifie les recours à une mémoire sélective des faits quatorze ans après. Monsieur l'ex-chef du gouvernement, s'il existe encore un chemin pour vous et pour certains qui vont succéder, celui-ci passe par le bûcher des vanités. C'est le prix à payer pour toute rédemption. Les DEC ont, quant à eux, obtenu là leur, et l'histoire leur rendra justice un jour prochain. Comme elle rendra justice à celles et ceux, toutes corporations confondues, qui ont cru et œuvré au sacrifice de leur vie pour débarrasser l'Algérie de ses sinistres ténèbres. Qu'ils reposent en paix dans l'Algérie éternelle. Quant aux prétendants de leur vivant au ticket de l'immortalité qui s'efforcent désespérément de demeurer dans le vent, leur destin sera inéluctablement, ainsi que se plaisait à le dire Jean Guitton, celui des feuilles mortes …