L'ancien homme fort du Palais royal marocain Driss Basri vient de jeter un véritable pavé dans la mare. Il remet en cause, à travers une interview donnée hier au journal espagnol La Razon, dont une partie a été reprise par l'agence algérienne APS, toute la stratégie de Rabat tissée autour de la question du Sahara-Occidental depuis des années. « L'unique solution au Sahara-Occidental est le référendum d'autodétermination », a-t-il dit. Basri, qui pendant des années faisait la pluie et le beau temps au Makhzen et qui, pour La Razon, fut « le grand vizir » de Hassan II, défend le plan de l'Américain James Baker pour trouver une issue au conflit sahraoui, plan datant de 1997. « Ma conviction personnelle est que nous nous sommes beaucoup éloignés de la solution. Il y a eu une déviation dangereuse et malsaine dénommée ‘'troisième voie'' », a-t-il dit. Pour celui qui fut également l'artisan de la célèbre Marche verte, initiative prise en 1975 pour occuper les territoires sahraouis, la population du Sahara-Occidental - « et elle seule » - doit se prononcer sur son sort. « Le plan est clair : oui ou non à l'intégration », a-t-il précisé. « Il est malsain et inconvenant de revendiquer un territoire sans tenir compte de la population. C'est une attitude égoïste et mercantile qui ne donnera aucune solution », a-t-il déclaré à La Razon. Basri a annoncé avoir discuté plusieurs fois avec les dirigeants du Polisario à Lisbonne, Rome, Paris, Genève, au Maroc et à l'ONU. Basri dit avoir été le promoteur d'une politique de dialogue avec le Polisario. « Et Sa Majesté le sait », a-t-il appuyé. A la question du journaliste Pedro Canales sur une dernière « rencontre » sur le Sahara-Occidental au Maroc (qui aurait eu lieu en 1998), l'ancien ministre a répondu que ce n'était pas un secret. « En août 1998, Hassan II était convalescent. J'étais reçu par le prince héritier (Mohammed VI, ndlr) et nous avons négocié et discuté pendant de longues séances », a-t-il révélé. Basri a rappelé que le plan Baker identifie clairement les parties en conflit : le Maroc et le Front Polisario. Il oppose donc un contre-argument à la position traditionnelle de Rabat qui veut circonscrire le conflit à un face-à-face entre le Maroc et l'Algérie. Toute autre solution que le référendum est, selon lui, une série de gesticulations et de « comportements sans futur ». Depuis la mort de Hassan II, la position du Maroc est de remettre en cause le principe du référendum. La communauté internationale est globalement favorable au recours à cette consultation sur la base des accords de Houston. Dernièrement, la commission de décolonisation de l'Assemblée générale de l'ONU a réaffirmé le droit des Sahraouis à l'autodétermination. L'Algérie, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, a déclaré ne pas accepter de modification au plan Baker. « Toute manœuvre pour s'éloigner du plan ou pour le sortir du cadre de l'ONU est vouée à l'échec (...). Baker s'en est allé, mais son plan demeure en vigueur (...). Pourquoi ne laisse-t-on pas les Sahraouis s'exprimer sans entrave sur leur devenir ? », s'est interrogé Abdelaziz Belkhadem dans un entretien accordé, fin octobre 2004, au quotidien espagnol El Pais. Interrogé sur la vague soulevée récemment au Maroc après avoir évoqué « le Sahara-Occidental » (cette expression est interdite d'usage dans le royaume), dans une intervention sur la chaîne qatarie El Djazira, Basri a répondu : « C'est une injustice (...) indigne d'un royaume comme le Maroc. A chaque fois que j'ouvre la bouche, des passions se déchaînent dans le camp adverse (...). Je suis un homme d'Etat de toutes les manières. » A propos de la pseudo-tension entre Alger et Rabat, Basri a rappelé ses propos sur El Djazira. « Selon mes informations, il n'y a pas de tension ni de préparatifs de guerre », a-t-il déclaré. Le porte-parole du ministère algérien des Affaires étrangères a rappelé, dernièrement, qu'il n'existe aucun différend bilatéral entre l'Algérie et le Maroc en ce qui concerne le Sahara-Occidental. Par ses nouvelles déclarations, Basri, qui vit actuellement à Paris, bascule-t-il dans l'opposition pure et simple ?« En activité, il était envahissant ; à la retraite forcée, Driss Basri devient encombrant. Sous Hassan II, on savait quoi lui faire faire ; sous Mohammed VI, on ne sait pas quoi faire de lui. Un vrai problème. Un problème pour qui, au fait ? », écrit récemment Maroc-Hebdo.