Les enfants « SDF » qui persistent dans leur errance sont facilement reconnaissables et détectables à leurs corps amaigris, à leurs vêtements sales et à leur odeur tenace de misère. Dans les artères d'Oran, ils sont âgés de dix, douze, quatorze, quinze ou seize ans ; ils sont considérés comme les nomades des rues, des SDF sans racines et vivant en exploitant les autres ou en se faisant exploiter. Plusieurs étaient au départ des fugueurs, mais la majorité sont devenus par la force des choses des vagabonds, des rejetés, des marginaux, des gosses en rade, échoués sur les rochers des villes pendant que leurs familles naufragées sombrent dans les flots de l'impuissance. Les jeunes « SDF » qui persistent dans leur errance sont facilement reconnaissables et détectables à leurs corps amaigris, à leurs vêtements sales et à leur odeur tenace de misère. Ils sont très fragiles et les premiers à payer le prix fort des privations. Chaque enfant qui prend un jour le chemin tortueux de la « fugue », a une histoire particulière qui s'apparente à son cas d'espèce. Ainsi, si cette démarche est quelquefois synonyme de liberté et d'aventure pour l'enfant, elle plonge inéluctablement les parents ou la famille dans le désarroi et est perçue comme un signe d'impuissance. Préférant la grande ville d'Oran pour l'anonymat qu'elle présente, les enfants qui désertent pour la première fois le toit familial auront vite fait de déchanter et retournent chez eux après quelques jours de « fuite en avant », fuyant les dangers de la rue qui les guettent à tout moment. C'est donc un phénomène subi, dramatique, auquel les efforts doivent redoubler pour une prise en charge affective qui reposerait sur des actions concertées en direction de cette frange de la société, estimée à quelque 1 400 enfants qui ne survivent pas très longtemps dans la rue, du moins sous une apparence humaine. Messaoud est un enfant « SDF » qui « fugue » pour la troisième fois : il porte d'horribles cicatrices sur son frêle corps. Il habite dans une petite localité d'une wilaya de l'ouest du pays. Il a préféré quitter les siens pour échapper à un beau père qui le punissait pour un oui ou pour un non. Traité de façon abominable, son histoire n'est qu'une succession de révoltes et de souffrances. L'angoisse l'empêche de parler et il raconte des détails effroyables, avec une voix lourde d'émotions. Messaoud erre dans les grandes artères de la ville, lorsqu'il ne vend pas des sachets en plastiques du côté du marché de la rue de Bastille. On lui donnerait dix-huit ans mais il n'en a peut être que quatorze ou quinze. A l'extrême, l'histoire de ces jeunes concentre tous les éléments : marginaux avant d'être adultes, faisant altérer délinquance et errance, ils sont, pour une part croissante, des enfants exclus. Adolescents, élevés par l'aide sociale à l'enfance ou pratiquement abandonnés, issus de milieux mal assimilés, ils constituent une population qui va de centre de rééducation pour mineurs à la rue. « L'abandon familial, l'échec scolaire et culturel et l'ennui leur font rechercher un refuge et l'expression de leur exclusion dans une drogue qui est souvent l'alcool, seul ou associé à d'autres produits, comme de la colle ou la consommation de psychotropes », résume, impuissant, ce psychologue pour enfants.