“Nous recensons de plus en plus d'enfants SDF depuis le mois de septembre qui a culminé avec 378 cas pour la seule ville d'Oran.” selon le responsable des affaires sociales de la wilaya. Un chiffre qui risque de décupler puisque les mêmes services ont eu à enregistrer plus de 89 cas durant la première semaine du mois d'octobre. Ce constat chiffré renseigne sur l'étendue de ce phénomène qui va crescendo compte tenu du nombre impressionnant des jeunes enfants SDF. Dans les artères d'Oran, ils sont âgés de dix, douze, quatorze, quinze ou seize ans ; ils sont considérés comme les nomades des rues, des SDF sans racines et vivent en exploitant les autres ou en se faisant exploiter. Plusieurs d'entre eux étaient au départ des fugueurs, mais la majorité est devenue par la force des choses des vagabonds, des rejetés, des marginaux, des gosses en rade, échoués sur les rochers des villes, pendant que leurs familles naufragées sombrent dans les flots de l'impuissance. “Nous recueillons quotidiennement une vingtaine de ces malheureux qui se droguent à la colle et ingurgitent de l'alcool chirurgical à 90°. Nous les transportons aux UMC pour les soins d'urgence. Mais faute de structures adéquates, nous ne pouvons les garder”, observe, désolé, un médecin du CHU d'Oran. Les jeunes “SDF” qui persistent dans leur errance sont facilement reconnaissables et détectables à leurs corps amaigris, à leurs vêtements sales et à leur odeur tenace de misère. Ils sont très fragiles et les premiers à payer le prix fort des privations. Chaque enfant qui prend un jour le chemin tortueux de la “fugue” a une histoire particulière qui s'apparente à son cas d'espèce. Ainsi, si cette démarche est quelquefois synonyme de liberté et d'aventure pour l'enfant, elle plonge inéluctablement les parents ou la famille dans le désarroi et est perçue comme un signe d'impuissance. Préférant la grande ville d'Oran pour l'anonymat qu'elle présente, les enfants qui désertent pour la première fois le toit familial auront vite fait de déchanter et retournent chez eux après quelques jours de “fuite en avant”. “Les dangers de la rue qui les guettent à tout moment incitent certains enfants SDF à demander de l'aide auprès des services sociaux pour retourner dans leurs villages. Nous redoutons surtout le danger de la prostitution forcée auxquels seront soumis les enfants. Des cas de pédophilie prohibitifs sont quotidiennement enregistrés par les services de la médecine légale du CHU d'Oran”, indique un policier très au fait de cette situation. C'est donc un phénomène subit, dramatique, auquel les autorités doivent réagir pour une prise en charge affective qui reposerait sur des actions concertées en direction de cette frange de la société estimée à 2 000 enfants qui ne survivent pas très longtemps dans la rue, du moins sous une apparence humaine. Saïd est un enfant “SDF” qui “fugue” pour la troisième fois : il porte d'horribles cicatrices sur son frêle corps. Il habite dans une petite localité d'une wilaya de l'est du pays. Il a préféré quitter les siens pour échapper à une marâtre qui le punissait pour un oui ou pour un non. Traité de façon abominable, son histoire n'est qu'une succession de révoltes et de souffrances. L'angoisse l'empêche de parler et il raconte des détails effroyables d'une voix lourde d'émotion. Saïd erre dans les grandes artères de la ville lorsqu'il ne vend pas des sachets de plastique du côté des marchés de la Bastille ou M'dina J'dida. On lui donnerait dix-huit ans mais il n'en a peut être que quatorze ou quinze. À l'extrême, l'histoire de jeunes concentre tous les éléments : marginaux avant d'être adultes, faisant altérer délinquance et errance, ils sont pour une part croissante des enfants exclus. Adolescents élevés par l'aide sociale à l'enfance ou pratiquement abandonnés, issus de milieux mal assimilés, ils constituent une population qui va du centre de rééducation pour mineurs à la rue. “L'abandon familial, l'échec scolaire et culturel, l'ennui leur font rechercher un refuge et l'expression de leur exclusion dans une drogue qui est souvent l'alcool, seul ou associé à d'autres produits, comme la colle ou la consommation de psychotropes”, résume, impuissant, un psychologue pour enfants. L'absence de centres de formation spécialisés et de structures médicales appropriés ajoute au drame de ces jeunes livrés à eux-mêmes. Oran, grand centre urbain, ressemble à un zoo humain où tout se joue à guichets fermés. Les rues, les ruelles, les venelles, les moindres coins et recoins, les jardins publics ou les squares constituent à présent des lieux de prédilection pour les enfants SDF où conquérir une place est devenue une question de vie ou de mort. Parmi les enfants SDF, un nombre important de fillettes âgées à peine de 10 ans qui sont les victimes toutes désignées des prédateurs. La sonnette d'alarme est à présent tirée. K. REGUIEG-YSSAAD