De nombreux Algériens qui n'ont pas voté lors des derniers scrutins ont été destinataires d'une lettre du ministère de l'Intérieur et des Collectivités locales contenant deux volets : le premier vise à sensibiliser les citoyens sur l'acte civique du vote et le second les invite à répondre à la question de savoir s'ils résident toujours ou non à l'adresse déclarée. Ceux qui ne se manifesteraient pas à la date butoir de la fin septembre seront considérés comme ne résidant pas à l'adresse indiquée et se verraient automatiquement rayés des listes électorales de leurs communes. Près de 4 millions d'Algériens — le chiffre des abstentionnistes du dernier scrutin — seraient concernés par cette opération. Dans le lot, et cela dénote que l'assainissement des listes électorales reste encore à faire, des citoyens qui n'ont pourtant pas déserté les urnes ont également reçu la lettre de rappel à l'ordre de l'administration. Il s'en est trouvé même des personnes décédées qui furent ressuscitées pour la circonstance par l'administration. Ce qui n'était qu'une opération administrative de routine, laquelle est prise en charge au demeurant par la révision périodique des listes électorales, est devenu un enjeu politique, pour ne pas dire politicien. Il est clair que cet activisme de l'administration est motivé par le fort taux d'abstention enregistré lors des dernières élections législatives. Une situation qui avait amené certains observateurs à s'interroger sur la légitimité du pouvoir en place suite au cinglant désaveu populaire opposé à cette occasion à la classe politique. Durant les années de plomb, le pouvoir avait utilisé un autre procédé pour inciter les Algériens à voter massivement : la carte de vote était devenue un document incontournable pour toute délivrance d'un papier d'état civil. Elle avait la même valeur qu'une carte nationale d'identité. Avec l'opération lancée par le ministère de l'Intérieur, l'administration a, certes, innové dans la forme mais pas dans le fond. On a tenté de mettre les formes juridiques, démocratiques en présentant l'initiative comme un appel à l'exercice de la citoyenneté. Jusqu'ici, il n'y a rien de répréhensible dans la démarche de l'administration. On a vu dans les démocraties avancées des présidents de la République intervenir à la télévision la veille d'un scrutin pour appeler leurs concitoyens à se rendre massivement aux urnes. Il reste que de nombreux Algériens ont vu dans cette initiative des velléités inquisitrices de l'administration. Une tentation inavouée de ficher les abstentionnistes comme on fichait dans un passé pas si lointain les opposants de tous bords au régime. Si, comme certains le croient, on a voulu jouer sur les peurs des Algériens, tout laisse penser que l'administration a bien réussi son coup. Les craintes des représailles de l'administration sont si prégnantes dans l'esprit des citoyens qu'il ne fait aucun doute que l'opération lancée par le ministère de l'Intérieur sera une réussite totale. Tout au moins au plan arithmétique. Le nombre des inscrits sur les listes électorales va être certainement dopé. Et le taux de participation électorale va enregistrer dans la foulée un bond prodigieux. Mais cela changera-t-il quelque chose à la problématique de fond qui demeure avant tout politique avant d'être administrative et technique ? Tous ces repentis qui vont se réconcilier avec les urnes, contraints et forcés pour une bonne partie d'entre eux, auront toute la latitude lors des prochains scrutins, dans le secret de l'isoloir, de fausser les calculs politiques du pouvoir en votant nuls. Ce qui n'est pas pour arranger la vitrine démocratique que le pouvoir cherche à mettre en avant pour les besoins de la consommation extérieure. En d'autres termes, on revient à la case départ. Car pour le pouvoir, les retombées politiques d'un fort taux d'abstention sont les mêmes que celles découlant d'un pourcentage élevé de bulletins nuls. Un choix électoral qui n'est qu'une forme déguisée d'abstention. C'est dire qu'il est vain de croire que l'on puisse régler la question de l'abstention sous la contrainte. La meilleure pédagogie électorale ne pourra provenir que de la démocratisation des institutions et du rétablissement de la confiance entre le peuple et les gouvernants. Le jour où les citoyens auront la conviction que leurs voix ne seront pas détournées, que les institutions élues et les représentants du peuple seront dignes de la confiance populaire, les citoyens se battraient bec et ongles pour figurer sur les listes électorales et pour aller voter. Nul besoin d'une quelconque contrainte sous quelque forme que ce soit.