C'est une tradition pour les Irakiens de célébrer l'indépendance de leur pays, avec une forte nostalgie sur ce qu'il fut, lui le berceau de l'humanité, transformé en tombeau pour cette même civilisation, par la faute d'une guerre qui lui a été imposée. Et depuis peu, ils craignent que chaque célébration soit véritablement la dernière vu l'état de décomposition et de démembrement de l'Irak qui célèbre aujourd'hui le soixante-quinzième anniversaire de son indépendance. Un pays qui avait tout pour réussir, il avait commencé à le faire avant de retomber depuis le début des années quatre-vingt dix, dans le moyen-âge. Toutes ses infrastructures sont détruites et lui pourtant si riche vit de l'aide internationale. Ou encore, toutes ces maladies pourtant éradiquées et qui ressurgissent. Ce qui est plus grave encore, c'est la disparition d'une mosaïque multi-éthnique et multiconfessionnelle. Que cela s'appelle partition, éclatement, et même fédéralisme, c'est de la disparition de l'Irak qu'il s'agit. Même si les responsables chiites et sunnites en Irak ont fait front contre une proposition du Sénat américain de partition de leur pays, alors que les dirigeants kurdes la saluent « comme l'unique solution » à l'actuel chaos. Le Premier ministre Nouri al-Maliki, un chiite, a estimé qu'une division de son pays « serait catastrophique non seulement pour l'Irak, mais pour toute la région ».Il a ajouté qu'il « appartient aux Irakiens de décider de telles questions et ils souhaitent maintenir l'unité de leur pays ». Ce vote a suscité une vive émotion en Irak, où la question du fédéralisme reste un sujet très sensible, alors que le pays est ravagé par les violences confessionnelles. M. Maliki a ainsi souhaité que le parlement irakien se réunisse dès que possible pour rejeter formellement, par un vote des députés, la proposition du Sénat américain. « Ce plan de division va contre les intérêts des Irakiens et contre la paix », a commenté de son côté un porte-parole du grand ayatollah Ali Sistani, principale autorité spirituelle des chiites irakiens. « Tout pays voisin qui soutiendrait ce projet en paierait le prix par une instabilité dans toute la région », a averti cheikh Abdoul Mahdi al-Karbalaï, qui s'exprimait au nom du grand ayatollah. « Nous rejetons ce vote, sur la forme comme sur le fond », a pour sa part réagi un membre du bureau du jeune chef radical chiite Moqtada Sadr, très populaire parmi les chiites irakiens. Le mouvement de Sadr a demandé « que le gouvernement rejette le projet du Sénat américain et le condamne très clairement comme une atteinte aux aspirations du peuple irakien », a expliqué Issam al-Moussaoui, dénonçant une « flagrante interférence dans les affaires interieures de l'Irak ».Le Conseil des oulémas musulmans, importante organisation sunnite et considérée comme proche de l'insurrection, a également condamné la proposition américaine, qui « prend le prétexte d'éviter les violences pour imposer la division de l'Irak ». La seule note discordante est venue du gouvernement de la région autonome du Kurdistan irakien, qui a salué chaleureusement la résolution américaine comme « la seule solution viable aux problèmes de l'Irak ». Cette résolution est un appel « à reconstruire l'Etat irakien sur la base du fédéralisme », s'est réjoui le gouvernement du Kurdistan, qui bénéficie déjà d'une large autonomie par rapport à Baghdad. Toutefois, et comme s'il s'agissait de rassurer les Irakiens, malgré la situation de fait imposée par la guerre lancée par les Etats-Unis, la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice se prononce contre toute partition de l'Irak. « Vous savez, la décentralisation et le fédéralisme figurent dans leur (les Irakiens) Constitution. Mais vous ne pouvez pas faire de partition, il n'y a pas d'enclaves ethniques », déclare Mme Rice, ajoutant qu'une telle partition constituerait « une véritable erreur ». Est-ce que cela constitue une garantie pour l'avenir de l'Irak en tant qu'Etat muti-éthnique ? Rien n'est moins sûr. Les fractures sont béantes et nombreuses. Entre les communautés et au sein-même des communautés. Depuis l'invasion américaine, l'Irak a connu un incroyable mouvement démographique, aussi bien à l'intérieur que vers l'extérieur. On parle de mouvements de populations, mais il s'agit en réalité de nettoyage éthnique, puisque les populations se reconstituent sur la base du seul critère éthnique. Des frontières sont ainsi érigées bien que, et il faut bien le signaler, des hommes et des groupes politiques sont opposés au démembrement de l'Irak.