Le ministre de l'Education nationale, Aboubakr Benbouzid, qui était lundi en visite d'inspection dans la wilaya de Tipaza, est entré dans une colère rouge en découvrant dans une école et dans une même classe que les élèves étaient séparés : les garçons d'un côté et les filles de l'autre. Le ministre a eu devant les responsables de l'établissement scolaire et de la wilaya des mots très durs auxquels il ne nous avait pas habitués, surtout depuis la charte sur la réconciliation nationale qui a fait du débat sur l'islam politique une question taboue. « Notre école est républicaine. je ne veux plus de politique dans nos écoles ; je n'accepterais pas la division entre les filles et les garçons », a tempêté M. Benbouzid qui ne s'est pas empêché dans la foulée de faire de la politique, affirmant que « l'ère du Fis fait partie du passé ». « Cette période est révolue et ne se reproduira plus dans notre pays », a-t-il observé. Cette montée au créneau du ministre de l'Education, pour rétablir l'ordre républicain dans notre système éducatif, pourrait augurer des jours meilleurs pour le renouveau de l'école algérienne ouverte sur la modernité et les valeurs universelles de tolérance si, par ailleurs et à tous les niveaux du fonctionnement des institutions de l'Etat, cette cause est entendue et appliquée à la lettre et dans son esprit. Ce qui est loin d'être le cas. Pour ne prendre que le secteur de l'éducation, un secteur objet de toutes les convoitises de tous les p(r)êcheurs en eau trouble, force est de remarquer que ce n'est pas la première fois que des dérives de ce genre, qui portent gravement atteinte aux principes républicains de l'école algérienne consacrés par la constitution, sont signalées. Il y a quelques jours à peine, une enseignante dans une école de la wilaya de Boumerdès a été sommée de porter le hidjab par ses élèves, sous peine de représailles. S'il faut donc se féliciter du discours de fermeté adopté par Benbouzid à Tipaza pour chasser l'intolérance et l'archaïsme de nos établissements scolaires, il faut bien admettre, et l'expérience l'a démontré ici et ailleurs, que l'on ne combat pas l'intégrisme avec des discours et des incantations politiques. Pour que la remarque et la colère du ministre aient un sens, il eut fallu qu'il joignît l'acte à la parole. Il fallait avoir les moyens de sa politique, identifier les responsables qui ont laissé pénétrer une idéologie d'un autre âge dans nos écoles et prendre des sanctions contre les responsables de l'éducation au niveau local et même central, car cela signifie que même les inspecteurs du siège ont, eux aussi, fermé les yeux sur cette pratique déguisée et sournoise de non-respect de la mixité dans certaines de nos écoles. On tolère que les garçons et les filles soient mélangés dans une même classe, mais on les cantonne dans des espaces séparés. Quel génie ! Hormis le savon que le ministre a passé aux responsables de l'éducation de Tipaza, il n'y a pas eu de sanctions ni de têtes tombées à Tipaza et il n'y en aura pas, comme il n'y en a pas eu ailleurs où d'autres scandales similaires furent signalés. Ceci pour la simple et bonne raison que ce qu'il a été donné au ministre de voir et de dénoncer à Tipaza n'est que la partie visible de l'iceberg, c'est la résultante de la démission de l'Etat en amont et en aval du système éducatif. Au niveau des programmes scolaires, du recrutement des enseignants et de l'encadrement des établissements scolaires, il n'y a pas la rigueur requise qui aurait permis à nos établissements scolaires de fonctionner comme des lieux d'acquisition du savoir et de rayonnement culturel et non cultuel dans le sens dogmatique et asservissant du terme. C'est dire que ce ne sont pas les coups de gueule de M. Benbouzid qui empêcheront les esprits malintentionnés de distiller en toute impunité leurs idées et leur idéologie dans les esprits de nos enfants. Il faut, pour cela, une réelle volonté politique qui n'existe pas, pour arrimer l'école algérienne au siècle présent.