Rappel de l'ambassadeur turc à Washington, feu vert à une intervention armée contre le PKK dans le nord de l'Irak, la Turquie a une fin de Ramadhan difficile. Ankara ne décolère pas depuis mercredi après la décision d'une Commission de la Chambre des représentants américaine de faire assimiler à un génocide le massacre de milliers d'Arméniens à l'époque ottomane -entre 1915 et 1917-. Cette décision que les démocrates, majoritaires au Congrès, veulent faire avaliser, a mis en fureur Ankara qui a rappelé jeudi, pour consultation, son ambassadeur à Washington, tout de suite après l'adoption par cette commission d'un texte controversé sur le génocide arménien. «Il est naturel que l'ambassadeur soit rappelé pour consultations après qu'une telle décision eut été prise au Congrès» a déclaré le porte-parole du ministère turc des Affaires étrangères, Mahmut Bilman. «Mais il est plus difficile de dire quand il retournera à Washington», a encore dit M.Bilman. De son côté, le gouvernement turc a indiqué que le texte (controversé) «mettra en péril dans une période très sensible un partenariat stratégique» entre Washington et Ankara. Plus explicite, le Premier ministre, Recep Tayyip Erdogan, a assuré que son cabinet ferait tout pour empêcher l'adoption du texte en plénière et étudiait sa riposte si ses efforts se révélaient insuffisants. «Nous allons continuer notre action avant qu'il (le texte) arrive en plénière», a déclaré M.Erdogan. «Après cela, il y des mesures que nous pouvons prendre, mais le temps n'est pas venu d'en parler», a-t-il déclaré. Sollicité de préciser sa pensée, M.Erdogan a indiqué: «Ces choses-là ne se disent pas, elles se font» laissant ainsi planer des mesures de rétorsion (faisant clairement allusion à la base d'Incirlik) qui aggraveraient les difficultés des Etats-Unis dans cette région où ils interviennent militairement en Irak. Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, ne s'est pas trompé en avertissant que «Les Turcs ont été assez clairs sur les mesures qu'ils prendraient si cette résolution était votée» se référant à l'importante base militaire d'Incirlik vitale pour l'approvisionnement des forces américaines qui interviennent dans tout le Moyen-Orient. D'ailleurs, M.Gates a fait observer que 70% du fret aérien américain, 30% du carburant et 95% des nouveaux véhicules blindés destinés à l'Irak transitaient par la Turquie. Prise dans la tourmente provoquée par la Commission de la Chambre des représentants et face au refus de la Turquie d'endosser la responsabilité historique d'un génocide, la Maison-Blanche tente de calmer le jeu, déployant ses efforts en vue de sortir de cette crise dont l'administration Bush se serait bien passée, d'autant que ses retombées risquent d'être sévères pour Washington. «Nous regrettons tous profondément les souffrances tragiques endurées par le peuple arménien à partir de 1915», a déclaré M.Bush devant la presse, mais le texte (controversé) «n'apporte pas la réponse qui convient à ces massacres historiques», a dit le chef de la Maison-Blanche qui a estimé, en revanche, que son adoption (par le Congrès) «causerait un tort considérable à nos relations avec un allié crucial au sein de l'Otan et dans la guerre mondiale contre le terrorisme». «Je presse les membres du Congrès de s'opposer» (à ce texte) a-t-il encore indiqué. Mais, la présidente de la Chambre des représentants, la démocrate Nancy Pelosi, est bien déterminée à faire adopter ce texte par un Congrès que domine son parti. Mais outre l'affaire des Arméniens, qui oppose la Turquie au Congrès américain, Ankara est encore en bute avec le problèmes des rebelles kurdes turcs, retranchés dans le Kurdistan irakien, et menace d'intervenir militairement dans le nord de l'Irak, pour mettre un terme aux incursions des rebelles du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan turc) suscitant les mises en garde de la Maison-Blanche, du gouvernement autonome kurde irakien et de Baghdad. De fait, le gouvernement turc s'est réuni hier afin de mettre au point une motion légale autorisant une intervention armée dans le nord de l'Irak contre les rebelles kurdes de Turquie, qu'il veut présenter rapidement au Parlement pour approbation. Washington a encore appelé, ce week-end, Ankara à la retenue lui demandant de se garder de pénétrer en Irak dans une zone, le Kurdistan irakien, qui, paradoxalement, a été jusqu'ici épargné par la violence qui fait rage dans le reste de l'Irak depuis l'invasion et l'occupation, en 2003, de ce pays par l'armée américaine..«Nous ne pensons pas que la meilleure chose à faire, ce soit que des soldats entrent de Turquie en Irak. Nous pensons que nous pouvons nous occuper de cette affaire sans que cela soit nécessaire», a ainsi déclaré la porte-parole de la Maison-Blanche, Dana Perino devant la presse. Cependant, l'administration Bush serait-elle écoutée par Ankara alors que le Congrès américain se montre hostile à la Turquie en cautionnant un texte qui n'est pas dans l'intérêt de la Turquie? Mais il n'y a pas que l'administration Bush qui se trouve embarrassée par ces deux affaires qui, intervenant simultanément, tombent vraiment mal pour le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan qui tente de présenter le visage d'une Turquie -candidate à l'adhésion à l'Union européenne- en plein renouveau et engagée dans une mutation démocratique.