Tout ce qui a été dit sur le retour de Benazir Bhutto dans son pays s'est trouvé confirmé, sauf l'ampleur de l'attentat qui allait la cibler et le bilan qui n'était pas encore définitif hier, en fin de journée. L'expression qui revient le plus est celle du carnage avec au moins 133 morts dénombrés jeudi soir à Karachi, dans le sud du Pakistan. hier, affirmaient les spécialistes, le bilan ne pouvait que s'alourdir avec les quelque 400 blessés. « Le nombre confirmé de personnes tuées pour l'heure est de 133 », a annoncé, hier matin, le général Javed Cheema, porte-parole du ministère de l'Intérieur. Plusieurs personnes sont dans un état critique, les médecins essaient de les sauver », a expliqué Seemi Jamali, du grand hôpital Jinnah de Karachi, en parlant d'au moins 25 patients sérieusement touchés dans son seul établissement. « Il est très probable que le nombre de tués va augmenter », a-t-elle conclu. Karachi était donc en fête ce jeudi, avec une foule évaluée à près d'un demi-million de personnes venues accueillir l'ancien premier ministre Benazir Bhutto qui avait décidé de rentrer d'exil, après avoir conclu un arrangement avec le pouvoir en place, l'amnistiant de crimes dont elle est accusée et prévoyant un partage du pouvoir. Toutefois, on disait de ce retour qu'il était à haut risque. Benazir Bhutto déclarant en guise de programme qu'il fallait éradiquer le fondamentalisme en recourant à tous les moyens, même l'aviation américaine que le président Musharraf s'est gardé d'utiliser. Voilà donc une piste pour les enquêteurs que pourtant Mme Bhutto évitera, préférant pointer du doigt les dignitaires de l'ancien régime militaire, celui de Zia ul- Haq qui avait fomenté un coup d'Etat ciblant le pouvoir de son père, qui sera, quant à lui, pendu. Quant au déroulement de cette tragédie, celle-ci a ponctué une journée de liesse. Peu avant minuit en effet, une grenade a été lancée, suivie de peu par l'explosion d'une bombe très puissante qu'un kamikaze portait sur lui, selon plusieurs sources policières, « à quelques mètres de l'avant » du camion blindé, à bord duquel Mme Bhutto avait déjà passé neuf heures à défiler dans les rues de Karachi, sous les vivats d'au moins 250 000 sympathisants venus l'accueillir pour son retour après huit années d'exil. L'ancien Premier ministre venait de quitter le toit du poids lourd, où elle était à découvert, pour se reposer dans le container du camion blindé et aménagé pour la circonstance, selon les mêmes sources. C'est le plus meurtrier des attentats suicide jamais perpétrés au Pakistan. Le bilan est très lourd pour un seul kamikaze à pied, « parce que la bombe était bourrée de sortes de billes et de clous dont la projection est extrêmement dévastatrice, surtout dans un espace où la foule était aussi compacte », a expliqué le général Cheema. Selon la police, quelque 250 000 sympathisants de Mme Bhutto s'étaient massés tout le long du parcours du cortège, qui devait la conduire, en 18 heures, de l'aéroport où elle avait atterri en début d'après-midi, en provenance de Dubaï, au mausolée du père fondateur du Pakistan Muhammad Ali Jinnah. « J'ai beaucoup appris » Elle n'en a fait que la moitié et a été extraite du camion par ses plus proches collaborateurs en état de choc, avant d'être précipitée dans une voiture qui l'a conduite dans la maison familiale. La mégalopole du sud du pays avait pourtant été transformée en forteresse, quadrillée par 20 000 policiers à la suite de menaces d'attentats. Deux fois Premier ministre (1988-1990 et 1993-1996), elle s'est engagée à ramener la démocratie au Pakistan. Mme Bhutto avait quitté le Pakistan en 1999, pour échapper à des poursuites pour corruption. A peine arrivée, Benazir Bhutto s'est laissée porter par l'émotion. Vêtue de manière traditionnelle, aux couleurs du Pakistan, en vert et blanc, elle est descendue lentement de l'avion, a attendu quelques minutes, avant de descendre de la passerelle, puis a posé un pied sur le sol avant de se mettre à pleurer. « C'est un moment historique et plein d'émotions. Je suis bouleversée par la foule venue m'accueillir », a-t-elle dit. « Je suis plus âgée, j'ai appris beaucoup au cours des vingt dernières années, mais nous nous battons toujours contre une dictature. Nous voulons isoler les extrémistes et construire un Pakistan meilleur », a-t-elle déclaré. Mais ce jeudi, elle aura appris autre chose. Mme Bhutto n'a certes pas découvert uniquement la violence qui a toujours régné dans son pays, mais son étendue et surtout son caractère aveugle. Elle et son mari ont élargi l'éventail des probables commanditaires. C'est cela le Pakistan et c'est le pari qu'elle a décidé de relever en parlant de la construction d'un nouveau Pakistan.