L'ancienne premier ministre pakistanaise, qui a échappé miraculeusement à un attentat jeudi, quelques heures à peine après son retour d'exil, se montre conséquente avec elle-même. Après avoir déclaré vendredi qu'elle connaissait ceux qui veulent la tuer, elle en a donné la liste aux enquêteurs chargés de faire la lumière sur ce carnage. Ainsi donc, la police pakistanaise enquêtait hier sur une liste de suspects donnée au président Pervez Musharraf par Mme Benazir Bhutto, visée directement dans cet attentat suicide à Karachi (sud) qui a fait au moins 140 morts. Mme Bhutto a affirmé, dans un entretien à la BBC, qu'elle avait envoyé au général Musharraf les noms de trois personnes qu'elle soupçonne d'être impliquées dans l'attentat suicide le plus meurtrier de l'histoire du Pakistan, survenu à proximité du camion blindé dans lequel elle menait un gigantesque défilé pour célébrer son retour au pays, après huit années d'exil. « J'ai fait part de ces noms au général Musharraf et l'un de ces suspects est quelqu'un qu'ils surveillaient déjà », a expliqué l'ex-Premier ministre (1988-1990 et 1993-1996), tout en refusant de livrer ces noms au public. « L'enquête progresse dans la bonne direction, mais, une fois encore, nous éviterons de pointer du doigt tel ou tel ou même d'accuser certains groupes de combattants islamistes » avant d'avoir des certitudes, a précisé le chef de la police de Karachi, Azhar Farooqi. Des responsables du Parti du peuple pakistanais (PPP) de Mme Bhutto ont dit que sa liste de suspects comprenait « des hauts responsables de l'armée ». Mme Bhutto a également assuré qu'elle avait reçu des avertissements. Les services de sécurité lui avaient fait savoir que des cellules d'Al Qaïda, des groupes de talibans aussi bien afghans que pakistanais, mais aussi une organisation de combattants intégristes basée à Karachi, mégalopole de 12 millions d'habitants, préparaient des attentats pour son retour au pays. Elle l'avait fui en 1999 pour échapper à des poursuites pour d'importants détournements de fonds publics quand elle le dirigeait, et est rentrée à la faveur d'une amnistie décrétée récemment par M. Musharraf. Mme Bhutto, 54 ans, a également, au lendemain de l'attentat, accusé des anciens dignitaires du régime militaire du général Zia Ul Haq, qui dirigeait le pays il y a plus de 20 ans (1977-1988), et qui avait renversé puis fait exécuter son père, le Premier ministre Zulfiqar Ali Bhutto, en 1979. Le général Musharraf, lui-même à la tête du pays depuis un coup d'Etat sans effusion de sang il y a huit ans, a promis à Mme Bhutto d'arrêter les coupables, mais l'a aussi priée de ne pas « commencer à accuser les uns et les autres » sans preuves. L'époux de Mme Bhutto a accusé, dès la nuit du drame, une agence des services de renseignements du gouvernement d'avoir perpétré l'attentat. « Nous avons trouvé aujourd'hui un indice, mais d'importance relativement mineure, sur les lieux de l'attentat, mais nous n'en révélerons pas la teneur ; la police a scellé le site et nous effectuons des prélèvements », a assuré M. Farooqi. La reste est malheureusement connu de tous pour avoir été rapporté en temps réel par la télévision pakistanaise qui a tout filmé. Et en direct. Mais cet attentat n'a pas dissuadé Mme Bhutto de rester au Pakistan, où elle a promis de « restaurer la démocratie ». Elle négocie, cependant depuis des mois, une alliance avec le président Musharraf à l'approche des législatives prévues pour mi-janvier et au terme de laquelle il resterait président et elle redeviendrait chef du gouvernement. Et si ses listes ou plus simplement ses accusations s'avéraient fondées, cela veut tout simplement dire que Mme Bhutto a mesuré le risque qu'elle prend pour elle-même et pour son propre pays.