Plus de 130 morts, tel est le bilan du retour à Karachi de l'ancienne Premier ministre pakistanaise Le retour présumé triomphal de Benazir Bhutto au pays, après huit ans d'exil, s'est transformé, jeudi, à Karachi en véritable horreur suite à l'attentat kamikaze, le plus meurtrier de l'histoire du Pakistan, contre le cortège de l'ancienne Premier ministre pakistanaise. Jeudi, c'était l'épouvante alors que le cortège qui accompagnait Mme Bhutto faisait fête à la pasionaria pakistanaise, laquelle ne cachait pas ses larmes de se retrouver parmi les siens après une si longue absence. Mais ces larmes de joie ont vite fait de se transformer en larmes de sang. Arrivée dans l'après-midi de jeudi à Karachi, Benazir Bhutto, 54 ans, face à l'accueil exceptionnel que lui réservèrent son peuple et ses partisans n'a pu retenir ses larmes les laissant couler à flots, indiquant sous le coup de l'émotions «C'est un moment historique et plein d'émotions. Je suis bouleversée par la foule venue m'accueillir.» Mais ces moments d'émotion et de communion seront brefs dans un Pakistan marqué depuis de nombreuses années par la violence et surtout par un tribalisme virulent. Aussi, il fallait s'attendre à une telle issue d'autant plus que le retour de Mme Bhutto n'était pas souhaité par les larges portions de la classe politique et de la société pakistanaise. De fait, beaucoup d'hommes politiques pakistanais et milieux proches du pouvoir à Islamabad avaient suggéré à Benazir Bhutto de différer son retour à une période plus appropriée, car outre les menaces que les islamistes ont proféré à l'encontre de Mme Bhutto au cas où elle rentrerait au Pakistan, ce dernier faisait face depuis plusieurs mois à une recrudescence de la violence islamiste liée aux talibans et aux groupes se revendiquant d'Al Qaîda. Jeudi, si Mme Bhutto a échappé à l'attentat le plus sanglant commis au Pakistan -qui, à l'évidence, la visait- il n'en a pas été de même pour ses partisans, venus saluer leur idole, dont plus d'une centaine y ont laissé leur vie. Selon les autorités pakistanaises qui donnaient hier un premier bilan, il y aurait eu au moins 133 morts recensés, laissant entendre que ce bilan peut s'alourdir au regard du nombre important de blessés chiffré à plus de 400 personnes dont plusieurs sont plus ou moins grièvement touchées. «Le nombre confirmé de personnes tuées pour l'heure est de 133», a annoncé hier le général Javed Cheema, porte-parole du ministère de l'Intérieur. «Plusieurs personnes sont dans un état critique, les médecins essaient de les sauver», a, par ailleurs, indiqué un responsable de l'hôpital Jinnah de Karachi, selon lequel «il est très probable que le nombre de tués va augmenter». Face aux menaces d'attentat contre l'ancienne Premier ministre qui, à plusieurs reprises, avait affirmé qu'elle fera tout pour «éradiquer l'islamisme du Pakistan», le gouvernement d'Islamabad, et particulièrement le président Pervez Musharraf, avaient pris de sérieuses dispositions, allant jusqu'à transformer Karachi en ville assiégée en y mobilisant 20.000 policiers, pour assurer la sécurité de Mme Bhutto. Le résultat est pourtant là, effroyable, avec des dizaines et des dizaines de morts à déplorer, même si Mme Bhutto est sortie indemne de ce piège. Hier, alors que l'on continuait encore à chercher des survivants dans les décombres du quartier dévasté par l'attentat kamikaze, les supputations allaient bon train sur le ou les responsables de ce carnage et nombreux étaient ceux qui se demandaient qui en était le commanditaire. Les pistes semblent nombreuses. Si Islamabad semble privilégier la piste islamique, Benazir Bhutto s'est plutôt tournée vers les vieux ennemis de la famille Bhutto, les partisans de l'ancien général Zia Ul-Haq qui joua un rôle important dans sa vie et celle de son père, Zulfiqar Ali Bhutto. Celui-ci, également ancien Premier ministre, avait été renversé en 1977 par le général Zia Ul-Haq, puis exécuté deux ans plus tard sur ordre de ce général. Mme Bhutto a affirmé hier qu'elle savait d'ou venait le coup assurant, dans une déclaration à l'hebdomadaire français, Paris Match: «Je sais exactement qui veut me tuer. Ce sont les dignitaires de l'ancien régime du général Mohamed Zia Ul-Haq (1977-1988), qui sont aujourd'hui derrière l'extrémisme et le fanatisme». Cependant, en dépit de cette nouvelle donne, l'entourage de Mme Bhutto affirme qu'elle «restera au Pakistan, elle ne partira pas, elle est déterminée». «Notre combat pour la démocratie va continuer. Nous allons participer aux élections», assure la même source se référant aux législatives prévues mi-janvier. Que cet attentat soit le fait d'opposants à Mme Bhutto, des islamistes pakistanais ou encore le fait d'Al Qaîda, sa condamnation par la communauté internationale a été unanime, choquée qu'elle était par les images horribles du carnage de Karachi. Pour Benazir Bhutto, ce retour douloureux au Pakistan, s'il renforce sa détermination, lui montre surtout le chemin à faire et les obstacles encore à franchir pour contribuer à l'avènement de la démocratie dans son pays, miné par le tribalisme et le clanisme.