« L'autoroute Est-Ouest ne peut pas être livrée dans un délai de 40 mois en respectant le cahier des clauses techniques particulières du contrat. » C'est à cette conclusion implicite, pour le moins spectaculaire, qu'est arrivée le représentant du groupement Cojaal, Tomohisa Shimamura, des solutions de chaussées pour le tronçon est de l'autoroute, remporté en par le consortium japonais. Cela se déroulait mercredi dernier à l'hôtel Mouflon d'Or, lors d'une journée d'étude sur les structures des corps de chaussée à l'invitation de la division programme neuf (DPN) de l'Agence nationale des autoroutes (ANA). L'explication technique est très simple : le cahier des charges de l'autoroute Est-Ouest impose aux entreprises de réalisation de faire trois propositions de prédimensionnement de la chaussée afin que le maître de l'ouvrage (ANA) choisisse. Mais aucune de ces trois solutions n'est suffisamment économique en bitume pour échapper à la contrainte d'approvisionnement. M. Shimamura a rapporté que les fournisseurs algériens ne sont pas en mesure de livrer plus de 25 000 t de bitume par mois. Il en faudrait 50% de plus, au moins. Il a exposé deux courbes qui affichent un sous-approvisionnement en bitume durant une année, dans la solution chaussée « tout bitume » et un sous-approvisionnement de quatre mois dans la solution « chaussée souple » plus économique en bitume. L'ANA ne veut pas entendre parler de ciment C'est pour cela que la solution préférée de Cojaal, a expliqué M. Shimamura, à un parterre d'ingénieurs et d'experts algériens et étrangers, est une « solution composite qui combine une grave couche en ciment avec des couches supérieures en bitume ». Une option qui contourne le problème de « la pénurie relative » du bitume. Dès la première intervention matinale de cette journée d'étude, Gilbert Briquet, intervenant pour le compte de l'assistance technique (Dessau Soprin – ASF) au maître de l'ouvrage, a écarté la solution japonaise « qui n'est pas prévue dans le cahier des clauses techniques particulières. Il faut que Cojaal s'en tienne à ce qui est défini contractuellement ». Réagissant à chaud à la sensation palpable qu'a provoquée l'exposé de la solution Cojaal, M. Khelladi, responsable de la DPN, a interpellé les deux groupements en charge de l'autoroute Est-Ouest – les Japonais de Cojaal et les Chinois de CITIC-CRCC – pour les presser de prendre leurs dispositions : « Vous devez arrêter vos programmes d'importation de bitume d'ores et déjà en tenant compte de vos besoins. Il n'est pas question pour nous que le choix des options de structures de chaussée soit déterminé par une contrainte d'approvisionnement. » Le délai des 40 mois en respect des clauses techniques est apparu encore plus hypothétique après l'intervention du directeur des routes du ministère des Travaux publics qui a admis qu'une forte croissance des importations de bitume pose de nombreux problèmes dans le court terme (2008-2009) : les importateurs n'ont pas les capacités financières, les aires de stockage ne sont pas disponibles. Il est prévu un pôle bitume dans le port de Djendjen, mais sera-t-il prêt avec le timing très exigeant des 40 mois ? Les présents à l'hôtel Mouflon d'Or ont toutefois noté que la présentation de l'autre groupement, le chinois CITIC-CRCC, en charge de deux tronçons de l'autoroute Est-Ouest, ne prévoit pas de solution composite « ciment-bitume » dans son étude de prédimensionnement de la chaussée. Les Chinois proposent une solution « bitume modifié » Akli Ourad, ingénieur algérien expert international en chaussée, a présenté pour le tronçon Ouest de CITIC-CRCC une solution innovante – le cahier des charges invite aux solutions innovantes - qui économise jusqu'à 30% d'agrégat et en moyenne de 5 à 10 cm d'enrobés. Les techniciens nationaux présents se sont montrés quelque peu sceptiques sur la capacité de l'Algérie à appliquer cette technologie de production de chaussée - dite EME2 - dont l'une des principales qualités reconnues est la bonne résistance à l'orniérage, cette déformation des couches profondes à cause de l'agressivité du roulage particulièrement précoce dans la bande lente des poids lourds. M. Khelladi qui avait les allures de Monsieur autoroute Est-Ouest dans cette journée d'études a choisi d'attendre les études détaillées appliquées au contexte algérien (qualité des fournitures, géotechnique, équipements utilisés, etc.), avant de se prononcer sur l'opportunité de cette avancée technique (EME2) qui implique le recours à un bitume modifié. Tout le monde aura compris que les enjeux de respect de délais sont une partie de cet arbitrage autour du type de chaussée de l'autoroute Est-Ouest. L'autre enjeu est bien sûr son coût. La partie chaussée représente en effet 15% du coût total du projet. La journée d'étude de mercredi a identifié clairement pour la première fois une cause technique de retard probable dans les délais de livraison de l'autoroute Est-Ouest. En marge des travaux, d'autres sources de problèmes « qui retarderont la livraison de 7 à 8 mois au minimum » ont été rapportées par les experts présents « qui vont devenir aussi concrets que la question du bitume dans les prochaines semaines ».