Alors que l'importation de plus de 50 000 t de pomme de terre de consommation n'aura en rien fait baisser la tension sur ce produit de première nécessité, c'est le retour inopiné du mildiou qui vient encore une fois bouleverser toutes les prévisions. Ce sont des conditions climatiques très favorables qui viennent réveiller ce champignon qui aura été à l'origine de très grosses pertes de production durant la pleine saison. Engendrant une forte chute de rendement et une envolée des prix jamais égalée. En effet, dès la mi-juin, alors que la récolte battait son plein au niveau des plus importantes zones de production de Aïn Defla, Mascara, Maghnia et Chlef, le tubercule était vendu à plus de 60 DA au niveau du marché de détail. Sur certaines parcelles qui avaient miraculeusement échappé à la maladie, le prix sur champ tournait entre 45 et 55 DA. C'est à la suite de cette chute de production que les prix allaient se maintenir entre 65 et 70 DA, engendrant une forte tension sur le marché. Ce qui incitera les ministères du Commerce et de l'Agriculture à envisager sérieusement le recours à l'importation. Dès la fin juin, une délégation mandatée par la Chambre nationale de l'agriculture s'était rendue au Canada en prospection. Un premier navire avec à son bord 3300 t de pomme de terre canadienne était alors débarqué au niveau du port de Mostaganem, le produit issu de la récolte d'octobre 2006 aura coûté pas loin de 26 DA/kg à son propriétaire. De qualité douteuse, il sera alors écoulé à hauteur de 35 DA/kg. Mais devant les réticences justifiées des consommateurs, cette pomme de terre allait être raisonnablement boudée. Obnubilés par la cherté du produit qu'ils n'avaient pas su anticiper, les pouvoirs publics prendront alors la décision non seulement de soustraire ce produit à toutes les taxes d'entrée, mais à le soutenir à hauteur de 10 DA/kg. Des facilités de crédit seront également octroyées aux importateurs qui seront invités à ramener jusqu'à 100 000 t depuis l'étranger. Selon les prévisions des officiels, ce tonnage devait suffire à faire la soudure avec la production locale d'arrière-saison qui devait en principe prendre le relais dès la première semaine de novembre. C'est d'ailleurs au 31 octobre que devait entrer en forclusion la loi dérogatoire votée en catimini à la mi-août. Entre-temps, la plupart des importateurs de semence s'étaient convertis, sans trop se faire prier, à la pomme de terre de consommation. Ramené de Turquie, de France, de Hollande et d'ailleurs, le produit ne parviendra qu'épisodiquement à satisfaire la clientèle qui ne lui trouvera aucune vertu. Pas même celle de faire baisser le prix à la consommation qui culminera à 70 DA/kg. Faisant engranger entre 4 et 6 milliards par bateau de 3000 t aux opérateurs qui n'allaient pas rater cette aubaine de réussir deux campagnes en une seule. C'est pourquoi ils finiront par se bousculer en rade à seulement une semaine de la fin de la période de grâce. Récoltes prématurées Mais c'était compter sans le redoutable mildiou qui vient tout juste de faire une réapparition musclée sur les champs de patate. Un retour en force à un moment où personne ne l'attendait. Pas même les producteurs d'arrière-saison qui avaient lâché la garde en hésitant à traiter les champs. Fortement échaudés par les pertes considérables du printemps, ils viennent — à la faveur d'un mois d'octobre particulièrement froid et humide — de se faire surprendre. Dans les campagnes, c'est un véritable vent de panique qui vient de souffler. La réaction des fellahs ne se fera pas attendre : ce sera la ruée dans un indescriptible désordre vers la récolte de la pomme de terre. Mais ni la qualité ni le rendement ne sont encore au rendez-vous. Même sur les parcelles les plus précoces, la tubérisation est loin d'être achevée. Il eut fallu attendre encore au moins deux semaines pour parvenir à des rendements acceptables. Mais les fellahs n'en ont cure. Leur unique souci est de sauver ce qui peut l'être. C'est cette arrivée précoce de tubercules encore fragiles et surtout immatures qui va provoquer une baisse remarquable du prix de gros. Les premières récoltes auront été cédées entre 38 et 42 DA. Ce qui s'est immédiatement répercuté sur l'ensemble du marché. Reléguant pour un certain temps la pomme de terre d'importation à un rôle secondaire. Les conséquences pour la suite de la campagne risquent d'être désastreuses pour tout le monde. D'abord, pour les agriculteurs qui pourraient perdre entre 40 et 60% de leur production du fait de la faible maturité des tubercules. Ensuite, pour les consommateurs qui auront droit à une courte éclaircie, mais qui devront se serrer la ceinture jusqu'au printemps et les premières récoltes. Pour les autres protagonistes que sont les pouvoirs publics et les importateurs, ils sont condamnés à trouver des solutions pour les six mois à venir. Car si le fléau du mildiou continue de faire autant de dégâts, il faudra songer à combler le manque de pomme de terre en prorogeant l'arrêté d'août et en intervenant directement sur le marché et y imposer des prix justes. Car sur les 5 à 6 navires annoncés avant le 31 octobre, il y aura probablement entre 18 000 et 20 000 t. Tout juste de quoi tenir encore un mois. A condition que les paysans parviennent à endiguer la flambée de mildiou et cessent de récolter hâtivement. Faute de quoi nos réserves risquent de fondre avant l'arrivée de l'hiver. Autant de pain béni pour les insatiables spéculateurs qui seraient tentés de recourir encore une fois aux chambres froides, transformées pour la circonstance en chambres fortes. Le plus terrible dans cette histoire est que personne ne semble se soucier de l'importation des semences — habituellement les premiers navires accostent dès la mi-novembre — indispensables à la prochaine campagne.