Où sont les Arabes ? »Cette complainte lancée par une mère palestinienne éplorée face aux caméras du monde entier au milieu des cadavres des massacres de Sabra et Chatila en 1982 par les troupes de Shraon alors ministre de la Défense résumait ce sentiment de plus en plus partagé par l'opinion palestinienne d'être abandonnée par ses frères arabes. Bien évidemment, le message était lancé beaucoup plus aux régimes arabes qu'aux opinions publiques arabes qui ont toujours manifesté un soutien sans faille à la cause palestinienne. Le temps est en effet loin où les régimes arabes, quel que fût leur système politique, vibraient à l'unisson à l'appel de la libération de la Palestine et cela en totale synergie avec leurs peuples. L'osmose entre l'engagement des pays arabes, dirigeants et peuples, était telle que la lutte du peuple palestinien était considérée comme une cause qui dépasse le cadre national palestinien pour s'inscrire dans une perspective plus vaste de revendication identitaire panarabe et panislamique au regard de la dimension sacrée que recèle la Palestine dans la conscience collective arabe et musulmane compte tenu des lieux saints qu'elle abrite. Les deux guerres israélo-arabes de juin 1967 et d'octobre 1973 sont là pour témoigner de cette communauté de destin liant les Arabes à la Palestine. Le sang arabe, qu'il soit du Machreq, du Maghreb ou des monarchies du Golfe, s'est en effet mêlé dans un même élan libérateur au sang des combattants palestiniens montrant ainsi au monde entier que tous les Arabes sont des Palestiniens et que leur indépendance demeurera inachevée tant que la Palestine n'est pas libérée. C'était une époque où les Palestiniens étaient fiers d'être Arabes. Le président Arafat, qui a obtenu pour son organisation l'OLP le statut de représentant unique et légitime du peuple palestinien au sommet extraordinaire de la Ligue arabe d'Alger en 1973, était reçu avec tous les honneurs dus à un chef d'Etat dans les capitales arabes. Le soutien financier, diplomatique et politique n'avait jamais fait défaut. Ce soutien n'aura cependant pas fait long feu aux nombreux Etats arabes. La pression des Etats-Unis, allié stratégique d'Israël, sur les régimes arabes était forte pour les amener à épouser l'air du temps du processus de paix israélo-arabe entamé avec les accords de paix israélo-égyptiens de Camp David en 1979 dénoncés à l'époque par la majorité des pays arabes comme un acte de haute trahison qui coûta la vie au président Saddat. Ainsi ouverte, la brèche de la désunion des rangs arabes ira en s'agrandissant au gré des conjonctures et des pressions internationales. De nombreux Etats arabes n'iront peut-être pas jusqu'à suivre l'exemple défaitiste de Saddat en reconnaissant l'existence de l'Etat d'Israël dans une période où la charte de l'OLP ne souffrait aucune ambiguïté sur cette question en prônant clairement la destruction de l'Etat hébreu, un principe endossé par la Ligue arabe, mais ils n'hésitent pas à mettre un bémol à leur engagement vis-à-vis de la cause palestinienne au double plan financier et diplomatique. La meilleure preuve de ce désengagement en est ces sommets de la Ligue arabe que l'on a peine à convoquer même dans les moments critiques qu'avait traversés la cause palestinienne comme ce fut le cas lors des récents massacres des civils palestiniens dans les territoires palestinens qui avaient soulevé l'indignation de la communauté internationale mais laissé de marbre la majorité des régimes arabes. Les accords de paix israélo-palestiniens d'Oslo de 1993 ont contribué à créer, au niveau institutionnel, dans bon nombre de pays arabes, sinon une révision de leurs positions respectives par rapport au conflit israélo-palestinien compte tenu de l'évolution du processus de paix, du moins une attitude attentiste et cela pour préserver leurs intérêts vitaux et l'avenir. Défaitisme Certains pays comme la Mauritanie n'hésitèrent pas à franchir de façon unilatérale le pas de la normalisation des relations diplomatiques avec Israël en ne craignant pas de passer outre aux principes et résolutions de la Ligue arabe. La Jordanie, Bahreïn et Oman suivront Nouakchott dans cette voie. Galvanisé par ces conquêtes politiques, Israël mettra les bouchées doubles pour élargir le cercle des reconnaissances des Etats arabes en tentant par des procédés, dont les Israéliens ont le secret, de forcer la main à certains pays arabes influents comme l'Algérie. On se souvient tous comment avait été instrumentalisé l'épisode de la poignée de main échangée entre Bouteflika et l'ancien Premier ministre israélien Ehud Barak à l'occasion des funérailles du roi Hassan II ! Le front du refus qui avait inscrit une belle épopée dans la voie de la solidarité arabe en faveur de la cause palestinienne fait désormais partie du passé. Tous les prétextes sont désormais bons pour les dirigeants arabes pour justifier la tiédeur de leur engagement vis-à-vis de la cause palestinienne. La corruption qui gangrène l'Autorité palestinienne est brandie par certains régimes arabes comme un argument massue pour restreindre l'aide à l'Autorité palestinienne et aux Palestiniens et contribuer à isoler politiquement et diplomatiquement Arafat sous les conseils avisés des Américains. De concession en concession, il ne faudrait pas s'étonner de voir un jour les Etats arabes admettre sous la pression internationale que les opérations armées menées par les Palestiniens en territoires occupées ne sont pas des actes de résistance mais des actes terroristes. L'hommage rendu à titre posthume à Arafat par de nombreux dirigeants arabes présents hier au Caire aux funérailles du leader palestinien résonne tellement faux que la rue arabe ne se fait aucune illusion sur leur engagement à perpétuer le combat de Arafat pour une Palestine libre comme il l'a toujours rêvé avec El Qods pour capitale.