Nous allons tout au long de cet article démontrer que l'économie algérienne est une économie mixte, c'est-à-dire une économie au sein de laquelle le secteur privé et le secteur public contribuent tous deux à l'activité économique. Mais pour bien saisir la portée de cette affirmation, faisons un tour d'histoire récente. Au cours des dernières années, de nombreux gouvernements ont rééquilibré l'organisation de leur économie en réduisant la taille du secteur public par des programmes de privatisation, qui ont consisté à vendre des entreprises appartenant à l'Etat (ou dans lesquelles l'Etat détenait une participation importante) au secteur privé. Parmi les nombreux problèmes soulevés par les privatisations, le plus important est celui du rôle que doit jouer le secteur public dans l'activité économique. En général, il est facile de convaincre l'opinion publique qu'une société de produits chimiques ou qu'une compagnie aérienne peut être mieux gérée par une entreprise privée que par l'État. En revanche, il est beaucoup plus difficile de parvenir à un consensus sur le fait qu'il est conforme à l'intérêt public de céder au secteur privé le réseau ferroviaire, le service postal ou des services comme l'alimentation en eau. Il est bien sûr toujours possible d'adopter une politique intermédiaire, en établissant un système de contrôle de l'Etat sur des sociétés privatisées ou en versant des subventions à ces sociétés pour leur permettre de satisfaire certaines nécessités d'intérêt public, comme le maintien de services postaux ou ferroviaires dans les zones rurales. Mais cette politique intermédiaire est difficile à mettre en œuvre. En effet, il peut être malaisé pour l'autorité de tutelle d'une activité privatisée de concilier la protection de l'intérêt des usagers avec la nécessité pour l'entreprise de réunir les fonds dont elle a besoin pour investir et il peut exister un conflit entre les missions de service public et l'objectif de profit qu'une entreprise poursuit nécessairement. Pour toutes ces raisons, l'économie algérienne emprunte à d'autres théories quelques éléments qui la situent à mi-chemin de l'économie de marché et de l'économie de l'offre. RÉDUCTION DES DÉPENSES PUBLIQUES ET REFUS DES POLITIQUES MACROÉCONOMIQUES L'économie de l'offre, courant économique libéral développé en réaction au keynésianisme. Après des décennies d'un interventionnisme étatique qui, depuis l'après-guerre, repose sur l'enseignement de John Maynard Keynes, les promoteurs de l'économie de l'offre entendent rétablir dans ses droits l'économie de marché. La stratégie de l'économie de l'offre s'articule autour de la diminution des impôts pesant sur les particuliers et les entreprises et de la réduction des dépenses d'intervention économique et sociale de l'Etat. L'effet attendu est d'une triple nature : relancer l'investissement et l'activité grâce à une augmentation de l'offre d'épargne due à l'allégement fiscal ; responsabiliser ceux que ce courant présente volontiers comme des « assistés » attendant trop de la sollicitude de l'Etat par une réduction du volume des dépenses publiques à vocation sociale (indemnisation du chômage, poids des allocations versées aux plus démunis). On retrouve ici l'argument avancé par les classiques du XVIIIe siècle, de l'effort naturel que chacun doit consentir pour améliorer sa propre condition, l'intérêt général s'analysant comme la somme des intérêts individuels ; enfin, restaurer les conditions de concurrence qui optimisent l'allocation des ressources, mettant ainsi fin au gaspillage des deniers publics, par la réduction des dépenses à caractère économique. En outre, les tenants de l'économie de l'offre condamnent l'action de l'Etat sur la conjoncture, la politique budgétaire étant, à leurs yeux, sans effets sur l'activité économique. Ils « combattent » ainsi la théorie keynésienne de l'effet multiplicateur de la demande publique sur la demande globale (« effet revenu »), pour lui substituer un « effet prix » dans la plus pure tradition classique. LA PRATIQUE DE L'ÉCONOMIE DE L'OFFRE : LE CAS DES PAYS ANGLO-SAXONS DANS LES ANNÉES QUATRE-VINGT 1) Déréglementation La théorie de l'économie de l'offre a fortement influencé la politique conduite par Ronald Reagan et Margaret Thatcher respectivement aux Etats-Unis en 1981 et en Grande-Bretagne dès 1979. L'économie de l'offre s'y est incarnée dans une politique qui tient en un mot : déréglementation (ou dérégulation). Qu'elle concerne l'organisation générale des marchés (les diverses réglementations publiques sont accusées de fausser les conditions d'entrée sur le marché et de déformer la structure des prix) ou certaines activités (le transport aérien, les télécommunications, l'énergie), la déréglementation passe essentiellement par un vaste mouvement de privatisations, dont le gouvernement français s'est inspiré entre 1986 et 1988. 2) Privatisations Il convient toutefois de remarquer que si les privatisations peuvent améliorer la compétitivité des entreprises concernées, les sociétés « privatisables » ne deviennent pas ipso facto bénéficiaires du seul fait de leur passage du secteur public au secteur privé ; ce sont en effet bien souvent des entreprises déjà rentables et concurrentielles qui ont été cédées au privé, certains observateurs ayant fait remarquer que l'Etat se privait de recettes plutôt qu'il ne réduisait ses dépenses. En outre, quelques opérations de privatisation ont été précédées de recapitalisations effectuées avec des fonds publics au nom du devoir d'actionnaire de l'Etat entrepreneur, engendrant ainsi une dépense supplémentaire. Enfin, le mouvement de dérégulation a, le plus souvent, suivi une démarche empirique dénuée de logique sectorielle, privatisant ce qui était privatisable. Ces quelques éléments montrent que les analyses économiques font rarement l'objet d'applications « pures ». Ainsi, la politique reaganienne a pu faire l'objet de critiques de la part des économistes de l'offre et les partisans du monétarisme (réduction des dépenses publiques mal maîtrisée, diminution des impôts trop tardive, politique monétaire trop peu restrictive), alors même qu'elle revendiquait ouvertement son appartenance à l'idéologie néolibérale de l'économie de l'offre.(A suivre)