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Maurice Buttin (Avocat de la famille de l'opposant marocain Ben Barka)
« Des blocages au nom de la ‘‘raison d'Etat'' »
Publié dans El Watan le 11 - 11 - 2007

Le vendredi 29 octobre 1965, disparaissait l'opposant marocain Mehdi Ben Barka en plein cœur de Paris. Quarante ans après, aucun élément nouveau ne semble venir troubler la quiétude de Rabat.
Pourriez-vous nous résumer en quelques mots l'affaire Ben Barka ?
Leader de l'opposition marocaine, Mehdi Ben Barka, en exil à Genève, de passage à Paris le 29 octobre 1965, est interpellé au boulevard Saint-Germain par deux policiers français en civil, Souchon et Voitot, chargés, selon eux, de le conduire à un rendez-vous politique. Il s'agit en fait d'un enlèvement et il est conduit à la villa du truand Boucheseiche à Fontenay-le-Comte. De là, il disparaîtra à tout jamais. Seront poursuivis par la suite pour enlèvement et séquestration, outre les deux policiers, l'agent double Lopez, le journaliste Bernier, les truands Figon, le Ny, Dubail et Palisse. Du côté marocain, il y a Oufkir et Dlimi, El Mahi, El Houssaïni, Miloud Tounsi, dit Chtouki, et un cadre du SDECE (service secret français) Le Roy dit Finville. Un tiers, Figon, s'est suicidé au moment de son arrestation.
A présent, où en est l'affaire sur le plan judiciaire ?
Deux procès suivirent. Le premier, en septembre 1966, interrompu par l'arrivée de Dlimi, envoyé tout spécialement par Hassan II à la veille de sa condamnation par contumace. Le deuxième, au printemps 1967. Seuls seront condamnés, à huit ans et six ans de réclusion, Lopez et Souchon. Tous les autres, y compris Dlimi, seront acquittés. En revanche, les absents, Oufkir et autres seront condamnés par contumace à la réclusion perpétuelle. A la veille de la prescription de 10 ans, une nouvelle plainte sera déposée par le fils aîné de Ben Barka, Bachir, pour assassinat et complicité, cette fois contre X. Ce dossier, confié à un juge d'instruction parisien (huit juges se succéderont) est toujours en cours, à la charge de Patrick Ramaël. Pour ma part, avocat à la Cour d'appel de Rabat, constitué par l'épouse de Mehdi Ben Barka le 31 octobre 1965, j'ai rejoint à Paris six confrères constitués par l'épouse, tous décédés aujourd'hui. A la suite de ma plaidoirie en septembre 1966, j'ai été interdit par le roi de revenir au Maroc. J'ai alors dû m'inscrire au barreau de Paris. Je ne suis retourné que 17 ans après au pays, à l'occasion du voyage officiel du président de la République française, François Mitterrand, qui m'avait convié dans sa délégation.
Pourquoi l'affaire n'est pas élucidée alors qu'elle remonte à plus de 40 ans ? Où se situent les blocages ? Sont-ils d'ordre politique, judiciaire ou autre ?
Il s'agit bien évidemment d'une affaire politique remontant à plus de 42 ans. Les blocages sont venus pendant des années des dirigeants des deux Etats, au nom de la « raison d'Etat ». Si la France a levé en 2004 le « secret défense » qui portait sur le dossier du SDECE — sans pour autant que je sois sûr qu'il n'ait pas été expurgé après les événements de 1965 —, la justice marocaine n'a toujours pas exécuté les Commissions rogatoires internationales (CRI) qui lui ont été adressées en septembre 2003 et renouvelées en mai 2005 pour connaître le rôle des participants marocains présents à Paris à l'époque, notamment Miloud Touzi dit Chtouki, El Houssaïni, et Achaâchi, ou des hommes proches d'Oufkir et de Dlimi : à Rabat, le général Benslimane, alors capitaine, à Paris, le général Kediri, également capitaine.
Lors de la visite du président Sarkozy au Maroc, un juge français a déterré l'affaire et saisi Interpol pour faire arrêter certains responsables militaires marocains. Existe-t-il des chances que ces personnes soient arrêtées ?
L'affaire n'a pas été « déterrée » ces derniers jours ! Depuis des semaines, la famille Ben Barka que je représente et le juge d'instruction, excédés par le refus de facto des autorités marocaines d'exécuter les CRI, avaient décidé de recourir au témoignage des 5 personnalités les plus importantes citées précédemment, en lançant à leur encontre des mandats d'arrêt internationaux qui les empêcheraient de quitter le territoire marocain, jusqu'au jour où les CRI seraient enfin exécutées. J'ai donc effectivement saisi l'occasion de la visite au Maroc du président de la République, Nicolas Sarkozy, pour tenir informées les opinions publiques française et marocaine de la décision du juge, grâce au concours du journaliste Joseph Tual de France 3.
Et si elle devait être élucidée, l'affaire Ben Barka éclabousserait bien des personnalités politiques marocaines et françaises ?
Affaire d'Etat, oui. Des deux Etats peut-être, mais pas au même niveau : à l'origine, la volonté du roi Hassan II de faire revenir de gré ou de force son opposant n° 1 au Maroc. Reste à savoir si la mort de Ben Barka est due à un assassinat ou à un accident.


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