Quarante ans après, l'assassinat de Mehdi Ben Barka plombe encore l'ouverture démocratique au Maroc et pèse toujours sur la clarté des relations entre la France et le Maghreb. Le silence entretenu sur un crime d'Etat et ses complicités renvoie encore aujourd'hui au pacte colonial. La mise en cause de l'impunité est à l'œuvre en Afrique du Sud, au Chili, en Argentine. Pourquoi pas enfin au Maghreb et en France ? », soulignent l'Institut Mehdi Ben Barka Mémoire vivante et les organisations qui se battent pour que ce crime politique soit élucidé. Quarante ans après le rapt et l'assassinat de Mehdi Ben Barka, chef de l'opposition marocaine et secrétaire général de la Tricontinentale, la vérité sur sa mort reste à faire. Le dossier judiciaire est toujours ouvert. Deux questions doivent être élucidées, a avancé le seul défenseur depuis 40 ans encore vivant de Mehdi Ben Barka, Maurice Buttin : la responsabilité des pouvoirs français et marocain dans l'enlèvement. Comment est mort Ben Barka ? Un accident ? Un assassinat ? « Si les responsabilités politiques à l'origine de ce crime ont pu être cernées - au plus haut niveau du pouvoir marocain - toutes les circonstances de l'enlèvement et de l'assassinat qui a suivi ne sont toujours pas totalement et formellement établies ; les assassins et leurs complices ne sont toujours pas tous identifiés et la sépulture de Mehdi Ben Barka reste inconnue de sa famille après 30 ans d'instruction judiciaire », ont affirmé hier, lors d'une conférence de presse, son fils Bachir et l'avocat de la famille, Me Maurice Buttin. Après un premier procès en 1965, le 21 octobre 1975 Bachir Ben Barka dépose une nouvelle plainte contre X, cette fois pour l'« assassinat » de son père. « Les Marocains affirment que l'affaire est franco-française. Mais alors pourquoi les 4 truands français, réfugiés au Maroc, n'ont-ils pas été livrés à la France », s'interroge Bachir Ben Barka. Trois d'entre eux, arrêtés en mars 1971 selon leurs épouses, ont « disparu » en 1974 et leurs corps peut-être enterrés au célèbre PF3, lieu de torture et d'enfermement à Rabat, où ils ont été détenus, a-t-il indiqué. Des commissions rogatoires internationales adressées à leur sujet aux autorités marocaines en 1999, puis en 2000, puis en 2003, renouvelées en 2005 n'ont à ce jour apporté aucun renseignement. Artisan de la Tricontinentale Le secret défense est levé depuis cette année alors que « rien ne le justifiait ». « Il a eu pour effet de retarder l'action de la justice », a indiqué encore Bachir Ben Barka qui a relevé « une contradiction entre les déclarations du roi du Maroc et les pratiques du terrain ». Me Maurice Buttin a souligné : « La France, en partie responsable par négligence, a laissé faire. » Et : « Vraisemblablement, les Américains ont proposé au roi du Maroc de se débarrasser de Ben Barka pour lui et pour eux. » Une instance de réconciliation mise en place l'an dernier s'est autosaisie du dossier Ben Barka. « Nous attendons la publication de son rapport qu'elle a remis au roi. » « Toutes les familles au Maroc qui sont en attente d'informations sur leurs proches disparus ne peuvent se contenter de demi-mesures », a affirmé Bachir Ben Barka. « Depuis quelque temps, on est en train de s'acheminer vers un discours politiquement correct. La responsabilité politique de l'assassinat de mon père émane des plus hautes autorités marocaines. Ce serait une falsification de l'histoire que de vouloir limiter la responsabilité de l'assassinat aux exécutants. » Mehdi Ben Barka était l'un des principaux leaders de la lutte de libération des peuples du tiers-monde. Pour avoir dénoncé en octobre 1963 le conflit frontalier engagé par le Maroc contre l'Algérie, comme une « machination néocolonialiste », il est condamné à mort par contumace le 9 novembre 1963 et une seconde fois en 1964, accusé d'avoir organisé un attentat contre le roi. Dès 1960, il représente l'UNFP à l'Organisation de solidarité des peuples afro-asiatiques (OSPAA). A la veille de sa disparition, le 29 octobre 1965, il présidait le comité préparatoire de la première Conférence tricontinentale qui devait réunir à La Havane, en janvier 1966, les représentants des peuples d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud. Celle-ci s'est tenue sans lui, puisque le 29 octobre 1965 à midi, Mehdi Ben Barka est interpellé boulevard Saint-Germain à Paris par deux policiers français. Il les suit dans leur voiture de service dans laquelle se trouvent un agent des services secrets français et un truand. Il est emmené dans la maison d'un autre truand dans les environs de Paris. Le ministre marocain de l'Intérieur, son directeur de la sûreté et d'autres agents marocains les y rejoignent.