Alger a renoué hier avec les lendemains de catastrophes. Deuil, tristesse et enterrements des victimes des explosions des véhicules piégés de Hydra et d'El Biar ont replongé la capitale dans ce climat d'effroi qu'elle a connu dans le milieu des années 1990. Rues désertes, boutiques vides, circulation automobile réduite. Les écoliers ne s'attardaient pas sur le chemin de l'école. Alors que sur les lieux des lâches attentats, comme à Hydra sur le site de la représentation des Nations unies, on fouillait encore dans les décombres à la recherche de survivants, tandis qu'à El Biar, au niveau du siège du Conseil constitutionnel, on s'affairait à déblayer les lieux des gravats et à effacer toute trace de l'attentat. Les visages livides des Algérois exprimaient, hier encore, une profonde inquiétude. Jusqu'à quand l'horreur, s'interrogeaient-ils ? C'est une véritable chape d'émotion qui était retombée sur la capitale. Une atmosphère qui n'est pas sans rappeler celle vécue par les Algérois suite à l'attentat à la voiture piégée du boulevard Amirouche en 1995. Tout y était dans cet affreux remake. Jusqu'à l'ouverture pour un jour des médias publics lourds aux citoyens à appeler à témoigner et s'exprimer après les deux attentats terroristes. Ouverture un jour, fermeture toujours diront certains concernant la télévision et la radio nationales. Toujours est-il que les échos du direct retransmis par la Chaîne III qui a ouvert ses microphones aux auditeurs ont été sans doute des plus révélateurs de l'état d'esprit des citoyens. Plus précisément du « ras le bol » face à une situation qui n'a pour beaucoup d'entre eux que trop duré. On a tous en mémoire cette victime de l'attentat du boulevard Amirouche qui, s'adressant du fond de son lit d'hôpital au président Zeroual, debout à son chevet, a lancé ce pathétique cri de détresse : « Faites quelque chose M. le Président. » La jeune dame faisait allusion à la situation sécuritaire qui prévalait à l'époque. Dix années plus tard, à les entendre à la radio, les Algériens ne sont plus certes aussi désemparés qu'ils l'étaient dans le milieu des années 1990. Par contre, ils sont préoccupés par l'attitude de leurs dirigeants face à un terrorisme qu'on leur a prédit finissant et qui serait sur le point de vivre son « dernier quart d'heure ». Finissant, certes, mais non moins encore plus meurtrier, comme cette bête sauvage blessée à mort qu'on ne peut approcher. Inquiets, bien sûr, mais enrichis par l'expérience de cette décennie noire, beaucoup parmi les auditeurs sont intervenus pour non seulement dénoncer ces actions barbares, mais aussi le laxisme des autorités chargées de combattre ce fléau. Certains n'ont pas manqué par exemple de souligner le « relâchement manifeste de la vigilance » et de citer comme exemple l'absence de spots de sensibilisation diffusés par les médias lourds et qui ont disparu depuis belle lurette de nos écrans télé et des ondes radio. D'autres ont simplement dénoncé l'attitude du pouvoir politique et les multiples tergiversation face au terrorisme. « La politique de réconciliation nationale a montré sa faillite », dira l'un d'entre eux. Le président de la République doit tenir compte de ce constat, a-t-il poursuivi. L'Etat ne doit pas baisser la garde, a martelé cette étudiante qui a perdu une amie à El Biar. On doit multiplier les points de contrôle devant et dans les édifices publics, a- t-elle poursuivi, inquiète de reprendre dans ces conditions délétères ses cours à la faculté de droit. Le docteur Saïd Sadi, président du RCD, ajoutera son grain de sel en pointant l'index vers les risques que représente toute tentative de manipulation du terrorisme par les dirigeants du pays. Plutôt que de renforcer les capacités de résistance populaires (au terrorisme) qui permettent au pays de ne pas basculer définitivement dans la barbarie, le pouvoir a choisi de jouer avec l'intégrisme armé. Voilà les résultats, a dit en substance le psychiatre. Plus tard, ce fut le tour du secrétaire général du FFS, Karim Tabbou, d'insister sur les solutions politiques à la crise que vit le pays, telles que les perçoit son parti. On retiendra des interventions radiophoniques que la plupart des auditeurs ont insisté sur la nécessité pour l'Etat de mettre tous les moyens dans cette lutte contre l'intégrisme armé. Une démarche politique cohérente qui tienne compte des préoccupations des citoyens et qui capitalise les expériences de ces quinze dernières années dans le traitement de la question revient aussi comme un leitmotiv. C'est là l'interprétation qu'il faut sans doute donner au cri de « barakat » (ça suffit) qui revient sans cesse dans la bouche des Algériens.