Abdellatif Kechiche signe un film magistral digne, plein d'humanité. Et comme toujours, il nous fait découvrir une actrice géniale Hafsia Herzi qui est appelée à occuper le haut de l'affiche. Y a-t-il une vie après 60 ans ? Peut-on survivre à un chômage forcé à cet âge-là ? Quand on est maçon et qu'on n'arrive pas à suivre le rythme, c'est souvent la porte. Slimane Beiji ne déroge pas à la règle. Il a passé sa vie à se faire maltraiter par ses patrons. Désœuvré, solitaire, il erre dans le port de Sète. En regardant les pêcheurs, une idée s'impose à lui : ouvrir un restaurant couscous-poissons. Slimane a un grand cœur mais peu d'argent. Son ancienne épouse aurait préféré une pension alimentaire pour sa fille et non du poisson frais. Sur sa mobylette, il approvisionne sa famille en poisson frais, donné généreusement par des pêcheurs. Dans son hôtel pourri, qui sert de mouroir à d'autres vieux immigrés célibataires, Slimane rêve de devenir patron, alors que ses enfants lui conseillent un retour au bled. Abdellatif Kerchiche signe le film de l'année. Et comme pour L'Esquive, il a découvert une actrice géniale. Hafsia Herzi, pour reprendre l'expression consacrée, crève l'écran. Dans le film, elle se hisse sur la mob et décide de donner vie au rêve de Slimane. La Graine et le mulet est un film enthousiasmant, vivifiant et intelligent. C'est le cinéma que l'on aime. Car, oui, le cinéma peut avoir du sens ! C'est une ode à la solidarité, à l'humanité. Un refus à la résignation. Le film vient de décrocher le prix Louis-Delluc 2007, qui récompense le meilleur film français de l'année. Abdellatif Kerchiche est un habitué des prix. Après avoir évoqué les conditions de l'immigration dans La faute à Voltaire (2000), puis les quartiers populaires des banlieues avec L'Esquive, récompensé de quatre Césars en 2004, il s'attaque à l'éclatement familial, au rythme du retour et aux chibanis. « J'ai été très ému et enthousiasmé par ce film. Abdellatif Kechiche était déjà très talentueux, et avec La Graine et le mulet, il s'est installé à un niveau où il compte dans le paysage cinématographique français. Son cinéma repose sur une certaine qualité d'émotion, une attention aux gens, il fonctionne sur le même principe que celui de Pialat : il saisit la vie à l'instant où elle est vraie », a déclaré Gilles Jacob, Monsieur cinéma. Le film est empreint d'une fausse lenteur. On en redemande. Le tempo imposé par le réalisateur est tout simplement poétique. Le quotidien est sublimé par des gestes simples. Si Rym crée un déséquilibre par sa vivacité et sa sensualité, c'est pour mieux servir cette lenteur méditerranéenne. A aucun moment, Abdellatif Kechiche ne tombe dans l'angélisme. Les personnages sont montrés avec leurs travers, Slimane est victime mais aussi bourreau à sa façon, avec son ancienne épouse. En clair, il est humain. Le film est traversé par plusieurs thèmes : l'identité, l'immigration, la solitude… « Il y a plusieurs thèmes entremêlés, mais il est vrai que je voulais évoquer mon père, peintre en bâtiment, qui s'est sacrifié pour sa famille, sans se plaindre. Je me suis davantage plaint que lui de sa condition. Il éprouvait une fierté et un bonheur à gagner son pain. Il devait, du reste, jouer dans ce film dont le projet remonte à plusieurs années, mais il est décédé entre-temps. J'avais commencé à répéter avec lui, il était très bien. Ensuite, un autre acteur retenu est mort lui aussi. J'étais découragé. Claude Berri, mon producteur, m'a poussé à ne pas renoncer. J'ai finalement fait appel à Habib Boufarès qui avait travaillé avec mon père... L'idée, c'était aussi de montrer une solidarité entre plusieurs générations, y compris dans une famille recomposée. Parler de chaleur humaine, de ce qui unit plutôt que de ce qui sépare », explique Abdellatif Kechiche dans la presse. Un film à voir d'urgence.