Pour le grand poète congolais Tchicaya U Tam'si(1), « il faut mettre les choses au point et les mots à leur place », car : « En cette zone équatoriale L'homme craint l'orage Comme le cœur de l'arbre sensible à la foudre. » Chez lui, il y a une poétique de méfiance, dans l'acception quasi militante de ce terme, proche de celui de vigilance : ne pas ouvrir toutes grandes les portes du langage à n'importe quoi, ne pas accepter et recueillir tout, ne pas dire oui à ce qui a été 100 fois truqué, aliéné et falsifié : « Je vois depuis les bas-fonds de Poto-Poto Des lèvres qui sèchent dans l'attente d'autres révolutions Des yeux brûlés par la chaux des jours Des visages que magnifient les pleurs Des éclats de sel sous les paupières Dénonçant la mer qui nous pénètre comme un nématode. » « Dans certaines situations, dit le poète, se taire peut-être, mais d'une certaine façon. En disant simplement, pour commencer, que ceci est ou est là. » Constatation sévère, importante. La seule affirmation possible pour qui refuse toute présomption (et c'est bien la position constante de Tchicaya U Tam'si), c'est-à-dire de présumer de ce qui pourra être dit : « Je rentre d'un vieux royaume des sables Sous la traque du soleil Le nomade pleure le foie de chameau Et ne trouve nulle cache profonde Où déposer sa liste des jours vécus. » Aussi « la terre »(2), loin de se faire massive, opaque, lourde, comme il arrive souvent, s'allège-t-elle sous l'effet d'une parole modeste et aérée (aérienne même, selon la disposition typographique du poème) qui n'en dit que les essences ponctuelles : « Apparaît au loin un bras de mer morte Aux barques naufragées Les mâts seuls demeurent Qui rappellent un passé de forces vagabondes Dans le corps plein de nodules C'est comme la réplique d'une terre secouée Exposant des objets lithiques polis par les vents de sable Ici l'année reprend sa course sur un feu qu'attisent les souffles de la bouche boréale. » La réalité commune à « la terre » et au poème qui la nomme est un tissu, dans le double sens d'un milieu organique nutritif et d'un réseau de fils dans la trame du langage. Ce tissu que Tchicaya U Tam'si coud, découd, pique, repique, est assez fréquemment désigné : « Ici loin de la mer ma force vient du vent Des plateaux le fleuve Congo n'y suffit pas Je suis d'une terre oubliée des volcans Le feu des souterrains ne fait pas lever le pain de la mort Cependant la fin brusque est à chaque pas que soulève le jour Dans chaque souffle que nous prélevons sur le cœur de la nuit. » L'œuvre poétique de Tchicaya U Tam'si est riche de dix recueils. J.-L. Joubert dit qu'elle « domine la production poétique d'après la négritude ». Pour E. Locha Mateso : « L'œuvre du poète est brûlante. Son verbe est syncopé, bousculé, heurté. Œuvre baroque, elle charrie des ingrédients hétéroclites à l'image de l'univers qui contient le poème. » 1) - De son vrai nom : Gérard-Félix Tchicaya. Il est né en 1931 à Mpili. 2) -« Le pays, le patrie. »