«La civilisation islamique du Moyen Age est passée par la langue arabe, et cela m'intéresse de faire entendre cette langue.» Il est le père de Kirikou et la Sorcière, d'Azur et Asmar, deux films d'animation-phares de sa carrière qui lui ont valu un grand succès, lequel, venu tardivement, a pu couronner une carrière bien riche en matière de films d'animation. C'est donc lui qui a eu l'insigne honneur, samedi soir, d'ouvrir le bal des journées du film d'animation d'Alger qui se tiennent jusqu'à aujourd'hui à la salle Ibn Zeydoun. A ne pas rater! Retour donc, sur la carrière tumultueuse d'un artiste persévérant et généreux qui a cru en son rêve. Pour le redistribuer, cette fois encore, aux grands et aux petits... L'Expression: Un mot sur votre présence à Alger dans le cadre des Journées du film d'animation pour présenter votre film Azur et Asmar... Michel Ocelot: Je suis content de présenter mon film en Algérie, car il est en partie algérien. Je l'ai fait en premier lieu pour tout le monde. C'est quand même une célébration du Maghreb et de la civilisation islamique au Moyen Age. Quelle place tient l'Algérie dans votre film? A la fin des années 1960, mes parents enseignants étaient coopérants à Annaba. Je suis venu les voir et nous avons fait un périple jusqu'à El Oued. C'était inoubliable. Pour la réalisation de ce film, j'ai visité les trois pays du Maghreb pour choisir un décor. Je garde un souvenir inoubliable de Timgad. C'est un «coup de coeur». C'était magnifique. J'ai également visité les villes mozabites. Et beaucoup dessiné. J'ai le souvenir d'un noble vieillard qui chassait les enfants qui se regroupaient autour de moi leur demandant de ne pas me gêner lorsque je dessinais. J'ai même dessiné un paysage du Sahara, la nuit. Aussi, j'étais présent, en 2001, au festival de Timimoun et à la suite je me suis rendu à Alger où j'ai visité le Bastion 23 et le musée du Bardo. Ces deux lieux m'ont inspiré une belle demeure mauresque. Au musée du Bardo, vous pourrait admirer en vrai la coiffure d'un de mes personnages: la Fée des djinns. Je crois qu'elle s'appelle Serma. C'est une coiffure très haute faite en métal. Il y a aussi les tenues et costumes que vous pouvez retrouver aussi au musée du Bardo. Les personnages féminins portent des tenues berbères et des bijoux magnifiques. Je me suis également énormément inspiré d'un livre sur le costume algérien. Azur et Asmar ainsi que Kirikou et la Sorcière sont des films d'animation certes, mais qui touchent des sujets assez sensibles comme la xénophobie, le racisme, le courage, la violence de toutes parts. Comment, selon vous, les enfants perçoivent cela? Les enfants perçoivent tout cela. Ils suivent tout. Ils comprennent très bien. Ils enregistrent. Parfois, leurs questions sont plus pointues que celles des grandes personnes. Je précise aussi que mes films sont pour tout le monde. Je suis auteur et cinéaste. Comme il s'agit d'un dessin animé, je sais qu'il y aura des enfants dans la salle, donc je fais simplement attention de ne jamais leur faire du mal. Mais je traite de tout. Dans Kirikou et la Sorcière, le personnage de Karaba a beaucoup souffert et aurait été probablement violée. Et cela les enfants le comprennent. Souvent, ils veulent savoir qui sont ces hommes et ce qu'on a fait à Karaba. Pourquoi avoir fait appel aux deux langues, le français et l'arabe, sans sous-titrer cette dernière? Ce film est conçu, en effet, dans deux langues. Une que tout le monde comprend, le français, et une autre que la majorité ne comprend pas, l'arabe classique. Il n'y a pas de sous-titre et j'ai refusé qu'on double ou que l'on sous-titre l'arabe dans toutes les versions. On peut doubler le français mais pas l'arabe. Parce que, outre la fable sur être riche ou ne pas l'être, être immigré ou pas, je donne une information sur une culture précise. La civilisation islamique du Moyen Age est passée par la langue arabe, et cela m'importe de faire entendre cette langue. Un des problèmes de l'immigré aussi est de ne pas comprendre ni se faire comprendre. Donc, si on ne comprend pas l'arabe, ça me va très bien. La mécanique dramatique est organisée de cette manière. C'est là où je reviens à la réaction des enfants, les spectateurs en France ou ailleurs me demandent avec un brin d'agacement: «Vous n'avez pas sous-titré l'arabe», les enfants ne posent jamais la question, parce qu'ils comprennent que la vie est comme ça. Ils acceptent totalement cela. Ils suivent parfaitement l'histoire. Ils ont compris que, dans la réalité, il n'y a pas de sous-titre, qu'il faut se débrouiller. C'est normal. Quelle a été la réaction du public en France, vu que le sujet du film est assez brûlant? Excellente! Je n'ai eu que de bons échos. Quel sera votre prochain film? J'ai envie de revenir à une certaine simplicité. Parce que Azur et Asmar est un film assez ambitieux qui a coûté très cher, 10 millions d'euros. Tout est relatif. Le film a bénéficié de l'aide du CNC français. Il a eu une avance sur recette. Il a bénéficié aussi des aides européennes, des nouvelles technologies. C'est aussi une coproduction avec l'Italie, la Belgique et l'Espagne. Voilà comment on a trouvé l'argent. Il y avait deux éléments qui ont fait que le film était cher, la trois D informatique. Il faut énormément de matériel, de logiciels et de corps de métier. Au début, je ne savais rien faire, mais je faisais tout par moi-même. Maintenant, cela devient de plus en plus pointu. Une personne ne peut pas tout faire. Pour moi, c'est 6 ans de travail, pour d'autres c'est 5 ans, et pour les informations c'était un an et demi. Mais on a beaucoup travaillé avant d'arriver à l'ordinateur. Tout cela était lourd. Tout a été fait à Paris. Kirikou et la Sorcière a été réalisé dans cinq pays différents pour des raisons financières et non artistiques. C'était infernal. Je m'épuisais en voyage. Avec mon petit succès, j'ai pu obtenir de travailler dans la ville où je vis, et avec tout le monde autour de moi. C'est-à-dire à Paris. Mais ça coûte encore très cher, ça se facture à la seconde...Aujourd'hui, je reviens à mon passé d'artiste fauché, et j'ai envie de reprendre un noble théâtre d'ombre. Un petit théâtre en silhouette noire. C'est très beau, simple et facile à faire. Bien que les portes du cinéma s'ouvrent toutes grandes pour moi, j'ai envie de faire quelque chose pour la télévision. J'ai plein de petites histoires à raconter. J'en ai déjà une vingtaine en chantier. Je suis dessinateur à la base et je suis à l'aise dans le dessin animé. Comme un poisson dans l'eau. Je peux vous dire aussi que Kirikou, au début, personne n'en voulait. Aujourd'hui, après son franc succès populaire, on produit plusieurs films d'animation en France par an. Les banquiers se sont aperçus qu'on pouvait faire un long métrage d'animation en France et gagner de l'argent. Donc, le film d'animation occupe une place importante en France, suite à la série télévisée, mais ce n'est pas cela vraiment qui m'intéresse. Que pourriez-vous conseiller aux cinéastes de films d'animation algériens? Je leur dirais d'abord bonne chance! On n'a jamais eu une si bonne période depuis l'invention de l'animation qui précède le cinéma, que celle d'aujourd'hui. On a fait du dessin animé, de l'animation avant le cinéma. Depuis Emile Renau, c'est aujourd'hui que c'est plus confortable. Mais ce n'est pas encore tout à fait ça. Dans mon cas, je croyais en ce que je voulais. J'ai pas mal souffert. J'ai été longtemps chômeur, mais petit à petit, mon opiniâtreté, mon honnêteté ont payé et maintenant, je suis sur les rails du succès, et je n'ai pas l'intention de les quitter, mais toujours en offrant aux gens des choses auxquelles je crois. Et si j'ai des conseils à donner c'est de ne faire que des choses auxquelles on croit. Faire du bien aux gens et, surtout, techniquement, se relire toujours et se corriger.