Deuxième partie et fin de l'entretien avec la première responsable du secteur. Un panorama de la culture, vue du Plateau des Anassers. Il existe deux fonds de soutien peu importants financièrement : le FDATIC pour le cinéma et le FDAL pour les arts et lettres. Qu'est-il prévu pour le soutien à la création ? Je trouve déjà formidable qu'ils existent. Première conséquence d'Alger, capitale de la culture arabe, celui des arts et des lettres a été alimenté pour soutenir une nouvelle opération de 1001 titres, c'est dans la Loi de Finances 2008. Mais ce qu'il faut noter, c'est qu'on sort d'un compte spécial ad hoc pour aller dans un compte pérenne. Ce fonds est un moyen de soutien fondamental du livre, mais aussi du théâtre, et il va nous permettre de créer des Prix. Quant au FDATIC, vous le savez, il était alimenté à l'origine par un pourcentage prélevé sur les tickets d'entrée des salles de cinéma. Mais, dans leur écrasante majorité, celles-ci sont, soit fermées, soit en état de délabrement avancé. Donc, le FDATIC ne peut plus être alimenté par ce biais. C'est pourquoi nous nous sommes battus pour que, durant 4 à 5 ans, l'Etat continue à allouer une subvention afin que la production cinématographique ne meure pas. Cela ne veut pas dire que l'Etat doive financer la totalité d'un projet. Il apporte une aide complémentaire. On ne peut pas revenir aux années 70 avec l'Etat producteur, l'Etat distributeur, l'Etat tout ! Je dis cela avec tout mon respect et mon affection que j'ai pour les cinéastes. Un dossier a été soumis au gouvernement car l'Etat ne pourra ad vitam aeternam alimenter le FDATIC par budget. Il faut donc revenir progressivement au financement par le ticket. Nous avons recensé toutes les salles. La plupart sont entre les mains des APC qui n'ont pas les moyens de les gérer. Environ 10% relèvent des privés et le reste du ministère de la Culture, le réseau cinémathèque pour l'essentiel. Nous avons proposé donc que les salles reviennent à l'Etat. Le ministère de la Culture ne vise pas à les gérer mais à réhabiliter le parc existant de 380 salles. D'ici 2009, nous pourrons en réhabiliter 120. Ensuite, leur gestion sera confiée à des privés, mais pas n'importe lesquels. Qui n'est pas dentiste ne peut ouvrir un cabinet dentaire et il n'y a pas de raison que n'importe qui gère un cinéma. L'accès à la concession d'une salle, pourquoi pas pour 90 ans, sera ouverte à tout privé, mais il sera obligé, s'il ne l'est pas, de prendre un gestionnaire formé. Un cahier des charges très dur fixera ces modalités. Nous voulons inscrire l'opération dans le programme immense du Président de la République de 100 locaux d'activité pour les jeunes dans chaque commune. Un cinéma est un local qui crée de l'emploi. Nous commencerons par les jeunes que l'INADC a formés par centaines dans l'action culturelle. La majorité est au chômage, si bien qu'on n'en forme plus ! Ils recevront une formation complémentaire dans le cinéma et la gestion. Nous devrons aussi recréer un corps, malheureusement disparu, celui des inspecteurs de la culture, à raison d'au moins deux par wilaya, pour contrôler l'application des cahiers des charges. Sur le modèle des écoles privées, maintenant soumises à l'inspection académique … Absolument. Nous espérons pouvoir présenter ce programme en Conseil du gouvernement, car il faut son aval ainsi qu'un soutien financier public. Mais cela ne peut se réaliser qu'en adossant le programme à une Loi. D'où notre proposition de Loi sur la cinématographie qui, en principe avant la fin 2007, sera discutée au secrétariat général du gouvernement. C'est très important. Il y a encore des gens qui pensent que le cinéma n'a pas besoin de loi spécifique, que c'est une activité commerciale comme une autre. Oui, elle l'est aussi, industrielle même, mais elle a la particularité d'être culturelle, ce qui justifie une loi spécifique qui va permettre surtout de changer le statut du CNCA pour que ce levier fondamental se hisse au niveau du CNC français, marocain ou autre. Certains films soutenus en 2007, n'ont pas encore été montrés, comme celui de Mokhneche, « Paloma Délice ». Pourquoi ? Il a été produit dans le cadre d'Alger capitale de la culture arabe. On attendait une version en arabe, au moins sous-titrée. Ce n'est pas le cas et, de plus, on nous a remis un DVD. C'est quand même un film qui doit passer dans une salle de cinéma et pas sur un écran de TV, non ? Savez-vous que cela a été attribué à de la censure ? C'est de la folie furieuse. J'ajoute ceci : le film est passé en France, n'est-ce pas ? Eh bien, jamais il n'aurait eu son visa de censure dans ce pays si un certain pourcentage de la langue utilisée n'était pas du français (NDLR : 51 % des dialogues). C'est clair, net et précis. Il y a eu un problème avec un autre film, celui de J.P. Lliedo. On ne peut pas censurer un film qu'on n'a pas vu. Le réalisateur a signé un contrat pour un film de 52 minutes, il nous a ramené deux heures et demie de rushes, je dis bien de rushes, quel mépris ! Il n'a pas respecté son contrat. Vous avez signé pour 52 mn, vous remettez 52 mn. Le travail de montage n'a pas été fait. Qu'il se débrouille avec ses rushs. Je suis désolée que Lliedo en soit réduit à mentir pour se faire de la publicité. J'aurais voulu qu'il finisse autrement, vraiment, parce que c'est un ami par ailleurs. Et La Maison jaune d'Amor Hakkar, pourquoi n'est-il pas passé encore ? Sincèrement, je n'ai pas connaissance d'un quelconque problème. Il faudra poser la question à Aït-Oumeziane du CNCA. Il n'y a jamais eu de censure, je l'affirme encore. Ni de problème de langue ? C'est un film en chaoui… Nous exigeons que le film soit dans l'une des deux langues nationales. Pas plus, mais pas moins ! Je vais vous dire : nous avons copié presqu'à la lettre les règles du CNC français, en les adaptant, parce que nous estimons que c'est un exemple. Le beau film de Tsaki, tourné à Djanet, est en berbère sous-titré en arabe et il a été projeté. Respectons les contrats. Il n'y a jamais eu de censure. Heureusement d'ailleurs. Parlons de formation. Pour commencer, de l'absence de spécialistes en ingénierie culturelle… La formation sera la priorité en 2008. On ne pouvait pas tout faire en même temps. Le ministère s'est fixé des priorités. Tout le monde a constaté que la priorité a été donnée au patrimoine. Il était dans un état très dangereux avec une très belle Loi inapplicable car sans aucun texte d'application. Nous avons œuvré en termes de réglementation mais aussi de création des structures en charge. La lecture publique aussi nous a accaparés, ce qui a permis de lancer avec le ministère de l'Intérieur ce programme d'une bibliothèque par commune et je remercie M. Yazid Zerhouni de son soutien. Donc, avec d'autres chantiers, la formation va être « le » sujet de 2008, sans concession ni démagogie. Je tiens à dire que les instituts qui existent le sont grâce aux enseignants qui exercent dans des conditions très difficiles. Mais des matières fondamentales ne sont pas enseignées car nous n'avons pas assez d'enseignants. Donc, au delà de l'ingénierie culturelle, c'est tout le système qui est à réformer. De plus, se pose le problème du statut des enseignants, lié à celui des établissements eux-mêmes. Nous serons obligés de faire appel à la coopération. Nous avons commencé la réforme en transformant l'INADC en ISMASC (institut supérieur des métiers des arts du spectacle et du cinéma). Mais, avant le supérieur, il faut penser aux métiers intermédiaires, selon les standards internationaux. Que je sache, il n'y pas de cinéma spécifique, c'est un art universel. Un éclairagiste, un preneur de son, une scripte, un accessoiriste ne sont pas obligés d'être docteurs d'Etat. Généralement, ces formations se font sur le tas et in situ, parfois accompagnées… Nous devons arriver à monter des formations professionnelles qui permettent aux gens d'être très vite opérationnels pour que les films et les pièces se fassent convenablement et deviennent eux-mêmes des lieux de perfectionnement. Si l'on veut maintenant faire de l'académique, c'est une autre paire de manches et là, on crée du supérieur. Jusqu'à peu, l'Ecole des beaux-arts s'appelait « supérieure » mais elle ne répondait pas aux exigences d'un tel statut. Grâce au ministère de l'enseignement Supérieur qui a accepté nos demandes de dérogations, la majorité des enseignants a pu soutenir le magister, indispensable, comme le bac pour les étudiants. Nous avons décidé aussi, de créer une école régionale intermédiaire. Donc, le processus avance pour arriver à classer l'ESBA en tant qu'école supérieure hors université, telle que définie par la loi. Mais on ne peut pas arriver à une formation académique sur aucune base ! Quand vous dites Institut supérieur de musique, il n'a de supérieur que le nom et ce n'est pas la faute des enseignants, ni celle des étudiants. Il ne faut pas se dérober mais trouver des solutions. Certains étudiants débarquent avec le bac sans jamais avoir fait de musique de leur vie ! D'autres en ont fait, mais à titre personnel ou dans des associations. C'est mauvais pour l'étudiant, car on lui fait croire qu'on le forme. C'est mauvais pour l'Etat, car c'est de l'argent perdu. Donc, c'est tout le système de formation artistique qu'il faut repenser. Le statut de l'artiste, ce fameux sujet récurrent. Où en est-on ? Le problème numéro un de l'artiste, de par la nature de son travail, c'est la protection sociale, la couverture santé, la retraite, les allocations familiales… Dès que vous dites cela, se pose la question de la qualité d'artiste. Qui l'est et qui ne l'est pas ? De plus, qui décide de cette qualité ? L'administration d'autorité ? Les artistes eux-mêmes ? Qui ? C'est pourquoi notre réflexion a abouti à la nécessité de créer d'abord un organe, le Conseil national des arts et de la culture, composé en majorité d'artistes élus par leurs pairs et les partenaires : le ministère de la Culture mais aussi ceux du Travail et des affaires sociales, des Finances… Le premier objectif est d'établir la carte d'artiste : ses critères, ses modalités… Puis, de créer une mutuelle gérée par les artistes eux-mêmes et qui, je suis sûre, constitue la meilleure réponse. Pas d'assistanat. Un projet de décret de création de ce conseil existe. J'ai le regret de dire qu'il attend maintenant de passer depuis 2005. Nous espérerons qu'il sera programmé au plus tôt. Le ministre du Travail et de la Sécurité sociale est très ouvert sur la question et prêt à régler ce problème. En 2009, 40 ans après, Alger doit accueillir à nouveau le Panafricain. Ressemblera-t-il au premier, bien que cela soit impossible ? Vous êtes bien pessimistes. Pourquoi ? Non, mais nous vivons une autre époque… C'est une question prématurée. Nous avons maintenant une Agence de rayonnement culturel dont la mission est de faire connaître la culture algérienne à l'étranger et les cultures étrangères en Algérie. Nous l'avons chargée de réfléchir au programme de cet événement. Celui-ci sera exposé début 2008. La question a été aussi débattue au niveau des pouvoirs publics qui attendent cette proposition pour l'avaliser. A ce moment, le programme sera rendu public et l'administration mobilisée pour créer les conditions de travail aux créateurs et aux opérateurs. Ameziane Ferhani, Zineb Merzouk