En 2004, le Premier ministre espagnol Zapatero a lancé l'idée d'une Alliance des civilisations. Outre le soutien immédiat de l'ONU, le premier pays à y adhérer fut la Turquie. Les politologues y verront une manière pour ce pays de promouvoir son désir d'Europe. Nous pouvons y voir aussi un vieux cousinage, puisqu'il est établi que de nombreux Ibères, aïeux des Espagnols, venaient d'Asie mineure. Comme quoi, en fouillant l'histoire, les différenciations actuelles peuvent sembler ridicules.Toujours est-il, comme le rapportait El Watan, que ce projet d'Alliance a vu le jour avant-hier, à Madrid. C'est un beau signe que l'Espagne en soit l'initiatrice et l'hôtesse. Un clin d'œil au passé de cette terre qui sut accueillir, sous la houlette de l'Islam, des échanges culturels d'une élévation et d'un raffinement exceptionnels, quoiqu'en disent des esprits chagrins. Car, si ces derniers ont raison de se moquer de la mythologie que les Arabes cultivent volontiers à propos d'El Andalous, ils ont le tord de méconnaître qu'elle s'appuie sur des réalités patentes de science, de philosophie, de littérature et de tolérance. Autre beau signe : la présence des gens de culture parmi de nombreuses personnalités politiques, dont notre Premier ministre. Des écrivains nobélisés tels le Nigérien Wole Soyinka et le Turc Orhan Pamuk, leur collègue Paulo Coelho, l'acteur espagnol Antonio Banderas et quelques « grands noms d'Hollywood » dont l'identité n'a pas encore été révélée… Aussi respectables que puissent être des politiques, il faut dire qu'ils retardent plutôt sur les artistes et hommes de lettres. En affirmant que cette Alliance devra se forger avant tout sur le « dialogue interculturel », auraient-ils enfin compris leur décalage ? Zapatero a parlé de « voies pratiques de collaboration entre le monde islamique et le monde occidental qui démentent l'idée supposée d'affrontement inévitable ». Or, ce monde occidental s'appuie sur la civilisation judéo-chrétienne (d'origine orientale !), laquelle aujourd'hui est souvent vidéo-chrétienne dans la guerre des images qui attise les incompréhensions. C'est donc autour des trois grandes religions monothéistes que se nouent les enjeux et que s'exercent des manipulations. En 1935, Jean Giraudoux, dans sa fameuse pièce La Guerre de Troie n'aura pas lieu, dénonçait le cynisme des politiques et avertissait des dangers d'une déflagration. On ne l'a pas écouté. Quatre ans plus tard, la Seconde Guerre mondiale débutait. Si les politiques veulent vraiment que la Guerre des Trois n'ait pas lieu, qu'ils écoutent vraiment les vrais hommes de culture. Cette alliance-ci serait la base de l'Alliance-là.