A travers l'annulation du voyage du chef de l'Etat à Constantine, quelles que soient les raisons officielles invoquées, le constat est là, clair et implacable. Le peuple n'en peut plus de cette gouvernance archaïque. Encore une fois, comme dans les régions les plus reculées du pays, les citoyens ont crié dans la ville du Vieux Rocher leur ras-le-bol à l'encontre d'un pouvoir qui les ignore et les méprise. Dans le même temps, un chapelet de grèves nationales s'égrène : enseignants, médecins, vétérinaires, psychologues, fonctionnaires contestent un statut de la Fonction publique indécent, des augmentations de salaires insignifiantes sans rapport avec une cherté de la vie inacceptable et un pouvoir d'achat laminé. Les universités bouillonnent, les lycéens sont dans la rue. De jeunes chômeurs manifestent leur colère devant des usines. Les harraga continuent à hurler leur désespoir en bravant les dangers de la mer et l'inhumanité des tribunaux, à défaut d'aide et de soutien pour une vie décente. De suicides en suicides, d'enlèvements en enlèvements, d'attentats en attentats, l'Algérie s'enfonce dans le gouffre des incertitudes. Les Algériens n'ont plus d'autre recours que la grève ou les révoltes récurrentes dans la rue, devant le mépris et l'indifférence du pouvoir. L'Algérie du couffin et de la malvie, l'Algérie de l'insécurité et de la désespérance croule sous le poids de la misère, de l'humiliation, de l'angoisse et de la peur. Mais où est donc cette Algérie paradisiaque promise en 1999 ? Comme à l'accoutumée, usant de démagogie, le pouvoir fera sauter des fusibles et payer des lampistes, pour donner l'illusion qu'il est à l'écoute des préoccupations citoyennes. Depuis des mois et des mois, même après l'échec des législatives, il continue d'entretenir l'imminence d'un remaniement ministériel, faisant miroiter ces « mesurettes » comme des éléments déterminants pour un changement qualitatif chimérique dans la vie du citoyen. Autiste, le pouvoir poursuit sa fuite en avant, vantant les mérites de la réconciliation nationale et d'une paix retrouvée ( ! ) au mépris des victimes du terrorisme islamiste qui continue de sévir, un pouvoir encensant une relance économique illusoire, tournant le dos aux réalités de la grave crise sociale que vit l'Algérie. Se complaisant dans une Algérie surréaliste où « tout va bien », il fait battre les tambours pour un troisième mandat. En effet, à travers une mascarade qui se répète, de véritables moubayaâte sont organisées, poussant ainsi à un véritable coup d'Etat constitutionnel ; par ce coup de force qui ne dit pas son nom, le pouvoir (qui a toujours piétiné constitution et institutions) met ainsi sous le boisseau, le principe fondamental de l'alternance et, par-là même, toute possibilité d'alternative démocratique. Une bonne partie de la presse indépendante a relaté et dénoncé les dangers d'une telle démarche. Dans un passé récent, certains journalistes ont connu les affres des geôles du pouvoir et des poursuites judiciaires répétées. Le peuple en a assez des discours populistes et démagogues, des promesses jamais tenues, des discours islamistes. En un mot, des discours tout court. Il veut du concret et exige un changement radical du système qui a atteint ses limites. Il ne veut ni d'un troisième mandat ni d'un autre président, coopté par ceux visant seulement à faire perdurer un pouvoir préoccupé par la préservation de ses privilèges ; un pouvoir qui, pour beaucoup d'analystes, cultiva souvent la stratégie des coups de force, comme ce fut le cas contre le GPRA. En fait, le peuple aspire à l'exercice des libertés et à la pratique démocratique, soubassement essentiel du développement au bénéfice de toutes les couches sociales. Beaucoup de citoyens affirment que ceux qui ont pris la responsabilité d'installer ce pouvoir, notamment en 1999 et en 2004, se trouvent devant une responsabilité historique. Ils se posent aussi la question de savoir si ces responsables auront la capacité de vaincre les vieux démons pour maintenir, coûte que coûte, un système dont l'échec est largement consommé, avec une gouvernance coupée du peuple ? Pourront-ils tourner le dos à des méthodes révolues instaurées depuis l'indépendance, qui nous ont valu ces dernières années le fol espoir démocratique et la désillusion en 1991, la parodie de 1999 et la duperie de 2004 ? Pourront-ils s'engager dans la mise en œuvre d'une alternative démocratique, quitte à la préparer par une réelle transition démocratique pour éviter tout risque d'« aventureuse dérive » ? Le pays est au bord d'une explosion sociale sans égale ! Tous les ingrédients sont réunis. Les travailleurs de la Fonction publique, unis au sein de leurs syndicats autonomes, viennent, avec calme et détermination, de donner à l'ensemble de la classe politique, une leçon annonciatrice de changements véritables et probablement irréversibles. Et, avant toute chose, une leçon d'unité, de réalisme et de volonté politique pour transformer un rapport des forces qui a empêché la société de s'exprimer, en lui imposant un ordre et une gouvernance antidémocratiques. Car, depuis bien longtemps, le peuple nous interpelle ! Que de citoyens rencontrés au détour d'un marché, au devant d'étals aux prix inaccessibles pour beaucoup, que de citoyens croisés dans la rue ou à l'occasion de commémorations ont exprimé leur ras-le-bol, tout en déplorant leur impuissance et en souhaitant des espaces de rassemblement des forces de changement. Les syndicats autonomes viennent d'en créer un, aux dimensions de tout le pays, pour défendre non seulement leur dignité, mais celle de tous les Algériens laissés sur le bord de la route, qui souffrent, en silence, les affres de leur misère, alors que les caisses de l'Etat croulent sous les dollars. Dans cette perspective, c'est tout un peuple qui attend de tous les patriotes, républicains et démocrates, de continuer à soutenir ce mouvement salutaire, d'anticiper sur le cours des événements, plutôt que de les subir comme une fatalité. D'autres espaces peuvent voir le jour. D'ores et déjà, nous devons, au nom du peuple, demander des comptes, un bilan sans complaisance et refuser d'être placés devant le fait accompli du coup d'Etat constitutionnel, visant à instaurer une présidence dictatoriale à vie. Car cela aussi est une réalité incontournable. Elle ne devrait nullement être minimisée et appeler de notre part une vigilance accrue. Car, après Octobre 88, qui aurait dit que seul le pouvoir allait tirer le profit de la révolte des jeunes ? A nous de proposer une Constitution assurant la séparation des pouvoirs, l'alternance au pouvoir, affirmant l'égalité entre la femme et l'homme, promouvant et protégeant les libertés démocratiques, l'indépendance de la justice, et la justice sociale... Une loi fondamentale qui consacre la séparation du politique et du religieux, pour écarter tout danger théocratique et assurer la pérennité républicaine. Une nouvelle Constitution, pour un nouveau projet à la hauteur des ambitions de l'Algérie et des défis qui l'attendent en cet impitoyable XXIe siècle. Aujourd'hui, le danger qui guette l'Algérie est tel que nous avons le devoir de dépasser toutes les divergences secondaires pour créer les conditions d'une large convergence des forces patriotiques. Les syndicats autonomes viennent de démontrer que les voies du changement sont celles de l'unité forgée dans l'action solidaire. La sauvegarde de la République menacée est à ce prix. Oui, réveillons-nous, avant qu'il ne soit trop tard. Alger, le 16 janvier 2008