En déclarant, avant-hier à Constantine, que « l'arabe restera la seule langue officielle de l'Algérie », le chef de l'Etat a brutalement désavoué son chef du gouvernement et l'aile dialoguiste des archs. « Il n'y a aucun pays au monde possédant deux langues officielles et ce ne sera jamais le cas en Algérie où la seule langue officielle, consacrée par la Constitution, est l'arabe », a clamé le président de la République. A l'adresse de ceux qui ont, presque aveuglément, cru au miracle, Bouteflika assène cette autre banderille assassine : « Je ne peux admettre des choses qui vont à l'encontre des intérêts de l'Algérie (!) ». Le « niet présidentiel » ne signifie pas uniquement l'échec du dialogue engagé par le gouvernement avec les archs, mais aussi et surtout la désapprobation d'Ahmed Ouyahia et la disqualification de Belaïd Abrika et ses camarades. Complètement discrédités, ces derniers devraient, désormais, rentrer dans leur coquille et remettre le flambeau aux partis politiques et à ce qui reste du Mouvement culturel berbère. Mais dans ce cafouillage, somme toute attendu, c'est la Kabylie qui est précipitée dans les abysses d'une nouvelle crise. Consciente de sa débâcle, l'aile dialoguiste des archs a rendu publique, hier, une déclaration que d'aucuns qualifieraient de dernier baroud d'honneur. « Lors du meeting, tenu à Constantine (...), le chef de l'Etat a surpris le peuple algérien par de graves déclarations, provocatrices, calomnieuses et semant la division et la haine », peut-on lire dans la déclaration des archs. Visiblement abasourdis, les dialoguistes ont découvert un interlocuteur - le pouvoir - plus que jamais inflexible et verrouillé à l'émeri de tout pluralisme. « Le jamais récurrent du chef de l'Etat quant à l'officialisation de tamazight est non seulement en violation des engagements de l'Etat du 15 janvier 2005 (protocole d'accord global entre le gouvernement et les archs, ndlr), plus grave encore, il met en péril l'unité de la nation algérienne », ont souligné les rédacteurs de la déclaration. « La délégation du mouvement citoyen considère que l'argumentaire sur lequel s'est appuyé le chef de l'Etat pour dénier le droit à l'officialisation de tamazight est insensé et truffé de contrevérités (...). Nombreux sont les Etats qui fonctionnent avec plusieurs langues officielles : l'Afrique du Sud, avec ses onze langues officielles, est l'exemple le plus édifiant. » Les dialoguistes ne semblent pas désespérés pour autant. « La délégation du mouvement citoyen interpelle le chef de l'Etat quant aux raisons de cette insensée volte-face de nature à miner les fondements de la nation et à hypothéquer son avenir. A quels types de pressions obéit ce revirement ? », se sont-ils naïvement interrogés. En prenant à témoin « l'opinion nationale et internationale et tout en exigeant le respect de l'accord global signé le 15 janvier 2005 », l'aile dialoguiste des archs a « réaffirmé sa détermination à faire aboutir pacifiquement les revendications contenues dans la plate-forme d'El Kseur et ne saurait céder sur cette revendication phare portée par plusieurs générations ». Une crédibilité enterrée à Constantine Pour Ferhat Mehenni, premier responsable du Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK), « le pouvoir, en entamant le dialogue avec une aile minoritaire des archs, ne faisait que manœuvrer de sorte à amener les Kabyles à voter au référendum du 29 septembre ». En fin connaisseur de la nature du régime, le leader autonomiste ne se fait pas d'illusion : « Il n'a jamais été question dans les hautes sphères de décision d'officialiser la langue amazighe. Ouyahia le savait et se jouait de ses partenaires, novices en négociation. » Néanmoins, ce qui apparaît comme la perspective la plus plausible pour le moment, aux yeux de Ferhat Mehenni, est « le débarquement d'Ouyahia des commandes du gouvernement pour fin de mission ». Ceux qui se rappellent du dialogue engagé par l'ancien chef du gouvernement, Ali Benflis, avec les « anciens faux dialoguistes », trouveraient l'analyse de Ferhat d'une pénétrante lucidité. On se rappelle comment Bouteflika, en « prévisionniste », avait piégé, avant l'heure, celui qui sera, quelques mois plus tard, son principal rival en lui confiant le « bourbier kabyle ». L'opportunité d'une révision constitutionnelle et la perspective d'un troisième mandat pour Bouteflika devraient, dans la logique du Président, entraîner dans leur sillage « l'élimination politique » d'un ambitieux appelé Ahmed Ouyahia. « Prenant en considération tous ces éléments, on peut dire qu'il n'y a eu ni dialogue ni acquis. » Avec des exemples concrets, le patron du MAK a apporté la contradiction au chef de l'Etat qui a affirmé, jeudi dernier, à Constantine qu'il n'y a aucun pays au monde possédant deux langues officielles. « Il me paraît que le chef de l'Etat dit une contre vérité dans la mesure où la Suisse en a quatre, la Belgique deux, le Canada deux aussi et le dernier exemple en date est l'Irak avec deux langues officielles, à savoir le kurde et l'arabe. Ou Bouteflika a perdu la notion des réalités internationales ou bien il veut prendre les Algériens pour des nigauds », a-t-il asséné. Le Front des forces socialistes (FFS), qui n'a jamais cessé de dénoncer les archs, a saisi cette occasion pour les clouer au pilori. « Le chef de l'Etat vient de signer la fin de mission à une structure dont la mission était de terrasser politiquement la Kabylie. Le temps a donné raison au FFS et l'a conforté dans ses positions », a souligné, Karim Tabbou, secrétaire national à la communication. Revenant au discours de Bouteflika, M. Tabbou a estimé que « le FFS voit s'exprimer l'allergie du chef de l'Etat à l'égard de tout pluralisme, d'où son aversion pour une autre langue officielle aux côtés de l'arabe ». Le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), l'autre adversaire déclaré des archs dialoguistes, en qualifiant le dialogue archs-gouvernement de « mascarade », a estimé par ailleurs que « le pouvoir politique a utilisé sa propre clientèle sous le sceau de la corruption ». Selon Mohamed Khendak, chargé de communication au RCD, « le chef de l'Etat cherche à soudoyer les Algériens pour aller voter massivement le 29 septembre aux fins de faire de ce référendum un plébiscite ». Notre interlocuteur trouve, toutefois, la déclaration du Président selon laquelle aucun pays au monde ne dispose de deux langue officielles contraire à la vérité. Pour appuyer ses dires, Khendak cite à son tour la nouvelle Constitution irakienne qui consacre deux langues officielles. « En tout état de cause, nous ne sommes pas à une incohérence près dans les discours des pouvoirs politiques », a-t-il tranché. L'aile antidialoguiste des archs, par la voie de Rabah Boucetta, a estimé que « ces gens (les dialoguistes, ndlr) ont un cahier des charges bien défini. Leur mission est de mettre à genoux un mouvement né dans la douleur et de contribuer à normaliser une région synonyme de la contestation populaire ». Boucetta a déclaré savoir, dès le début, qu'aucun point de la plate-forme d'El Kseur ne sera arraché. « Il est clair aujourd'hui que la Présidence est contre le dialogue. La preuve, à chaque fois qu'une décision est prise, le lendemain est démentie par les services de la Présidence. Bouteflika est fidèle à lui même », a-t-il conclu.