Le développement durable revient souvent dans le discours politique des dirigeants de différents pays. C'est un « slogan » à la mode en Algérie. Pour le professeur italien Ricardo Petrella, il s'agit d'un leurre. « La politique de développement durable est un piège. Elle a été inventée par les dominants pour justifier leur refus du changement », a-t-il indiqué mercredi à Alger lors d'une conférence-débat sur, précisément, la thématique du développement durable en tant que défi du XXIe siècle. Une conférence qui a été organisée par l'Institut national d'études de stratégie globale. Cet éminent économiste explique que les mécanismes mis en place dans le cadre de cette politique visent uniquement à stimuler la croissance « des biens et services ». Cela provoque inéluctablement de « graves » disparités entre les couches sociales. Autrement dit, ce système économique accélère l'accumulation des richesses par certains groupes sociaux, comme il renforce ou plutôt aggrave le dénuement des strates sociales les plus pauvres. En deux mots, le conférencier explique que la politique de développement durable, telle que mise en marche actuellement, ôte le droit à la vie à des milliards de personnes. Pour étayer ses propos, M. Petrella évoque le cas de la politique de l'eau, cette ressource naturelle précieuse au point d'être considérée comme l'enjeu du XXIe siècle. Il y a de plus en plus de personnes au monde qui sont privées d'eau. Selon lui, les données actuelles font état de 1,5 milliard d'individus qui n'accèdent pas à l'eau potable. Il y en aura le double dans une vingtaine d'années, avertit-il, à moins que les Etats décident de dépenser 800 milliards de dollars. Ce manque n'est pas dû, selon lui, à la « raréfaction » de ce précieux produit naturel, mais c'est dû plutôt à son utilisation irrationnelle et inéquitable. M. Petrella cite dans ce contexte le cas des Etats-Unis où la moyenne de consommation d'eau par habitant est de 1100 litres par jour. Cela classe les Américains en tête des consommateurs d'eau dans le monde, loin devant le Canada, l'Europe et la Chine. M. Petrella considère ainsi les Etats-Unis comme les grands « gaspilleurs » d'eau, comme ils sont aussi les plus grands pollueurs de la planète. Mais le plus grave à ses yeux, c'est le fait que les Américains ne veulent aucunement changer leur mode de vie. Autrement dit, ils refusent de s'appliquer une politique rationnelle dans la gestion de l'eau. Résultat : les Etats-Unis ne tarderont pas à être à sec. Fleuves à sec ! Colorado River ou le fleuve du Colorado, long d'environ 2200 km, ne déverse plus d'eau dans l'océan. Le gouvernement américain a bien construit 600 barrages pour stocker l'eau de cet immense fleuve. Au lieu d'opter pour la réduction de la consommation, le gouvernement américain, comme le souligne le conférencier, envisage d'importer de l'eau du Canada et de l'Amazonie. Mais si le président du Brésil, Lula da Silva, semble être d'accord, le Canada refuse sous le motif que s'il procède à l'exportation de son eau, il n'en aura plus pour ses habitants dans un siècle. La Chine comme l'Inde sont également confrontées à ce problème d'eau. M. Petrella estime que ces deux pays, qui comptent 2,5 milliards de personnes, ne trouveront pas d'où importer de l'eau pour les besoins de leur population. Dans 90 ans, note M. Petrella, « les glaciers de l'Himalaya vont fondre, disparaître ». Et les prévisions d'instituts de recherche indiquent, précise-t-il encore, que « d'ici 2032, plus de 60% de la population mondiale vivront dans des régions à forte pénurie d'eau potable ». Suivant la consommation excessive de certains pays, le rythme du prélèvement de l'eau a fini par dépasser celui du renouvellement des ressources. Ce n'est pas tout. M. Petrella parle également du problème du réchauffement de la Terre, dû à la forte pollution provoquée à la fois par les grandes industries et par l'évolution technologique laquelle a engendré la généralisation de l'utilisation des machines et du matériel émettant des gaz à effets de serre. Conséquence : sécheresse et disparition ou diminution du niveau d'eau dans plusieurs fleuves qui irriguaient des centaines de millions de personnes dans le monde. Encore une fois, les pénuries d'eau vont toucher, selon lui, les classes pauvres. M. Petrella précise qu'actuellement 2,8 milliards de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté. Pour étayer son analyse, le conférencier souligne que « l'eau, ce don de Dieu, a fini par devenir un produit commercial » comme les autres. Selon lui, la privatisation de la gestion de l'eau apporte certes une certaine efficacité, mais crée le problème de ce qu'il appelle la « pétrolisation de l'eau ». Dans un système privatisé, l'eau devient une marchandise monnayable, inaccessible aux plus pauvres. Comme solution, M. Petrella préconise un nouveau mécanisme économique de financement de la gestion de l'eau dans le monde. « Pour offrir de l'eau à tous, il faut prélever l'argent là où les flux de capitaux sont les plus importants, c'est-à-dire au niveau des transactions », explique-t-il. Ce prélèvement doit être confié aux Etats, ou mieux à des organismes internationaux. Et il estime que la gestion de l'eau doit inéluctablement revenir au secteur public, en dehors de toute considération commerciale. C'est de cette manière, soutient-il, que l'accès à l'eau va devenir un droit inaliénable de chaque personne et aucun pays ne pourra prétendre à la propriété exclusive de l'eau qui se trouve sur son territoire, mais doit, le cas échéant, partager cette ressource avec ceux qui en ont besoin. Pour M. Petrella, cela pourrait se réaliser par la solidarité en mettant en place une « charte mondiale » de l'eau. Atteindre un tel objectif ne sera possible, précise-t-il, qu'avec l'engagement de tous, de la communauté internationale.